Ce genre de petites choses - Claire Keegan

Petites choses keegan- Sabine Wespieser Editeur - 2020 -

- Traduit de l'anglais ( Irlande ) par Jacqueline Odin -

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Depuis longtemps, j'attendais une nouvelle publication de Claire Keegan. Il a fallu patienter six années après la parution du recueil de nouvelles A travers les champs bleus en 2012. Claire Keegan m'avait bouleversée et enchantée lors de la lecture de Les Trois Lumières en 2011. Ces deux titres, ainsi que son premier recueil L'antarctique, sont disponibles en format poche.

La plume sensible de l'auteure irlandaise fait merveille sur ces récits courts. Il est toujours difficile de chroniquer l'une de ces lectures sans la réduire, tant son écriture et sa narration, faussement simple, disent en implicite, en émotions.

Le titre de ce dernier récit paru en témoigne par son titre, fidèlement repris du titre original Small Things Like These, si judicieusement choisi. Parce que ce sont toutes ces petites choses de la vie qui font une vie.

Le récit prend des allures de fable, de conte de Noël. Il y est question, de façon sous-jacente, de charité chrétienne, de rédemption, de conscience, de famille. Et d'amour. 

Le contexte est celui du scandale des blanchisseries de Magdalen, dans les années 80. En postface, une note de l'auteure en précise les mécanismes et l'ampleur : des jeunes femmes, filles mères, séquestrées, exploitées, dans ces institutions gérées par l'Eglise catholique, dont le bébé a été " placé ".

En ouverture du livre, cette dédicace : " Cette histoire est dédiée aux femmes et aux enfants qui ont subi la claustration dans les blanchisseries de Magdalen en Irlande. "

Toutefois, si ce récit dénonce ce scandale, celui-ci n'est pas l'unique sujet, il en est l'événement. Ce qui nous est raconté, sur ce temps resseré de la préparation de la célébration de Noël, c'est Bill Furlong, sa réaction face à ce qu'il comprend de la situation dans le couvent de sa petite ville, ses questions, ses dilemnes, s'il va réagir.

Bill Furlong est marchand de bois et de charbon, il fréquente donc les familles de sa ville, quel que soit leur niveau social. Il a atteint la quarantaine, il est marié, père de cinq filles. Cette vie honnête, modeste, intègre, n'empêche pas Bill de parfois ressentir un malaise qu'il peine à définir, qui n'empêche pas les souvenirs inopportuns d'affluer. Car Bill est un enfant de fille-mère, un enfant sans père. Sa toute jeune mère a eu la chance d'être protégée par la dame qui l'employait, qui l'a gardée à ses côtés, qui s'est occupée du garçon de huit ans lorsque sa mère est décédée à vingt-six ans. Il s'agit donc d'un récit en miroir. Bill a été chanceux malgré les manques qui ont marqué son enfance, malgré l'absence du père, même si ne pas connaître son identité le blesse encore.

Depuis peu, il avait tendance à se figurer une autre vie, ailleurs, et se demandait si ce n'était pas quelque chose dans son sang : ne se pouvait-il pas que son propre père ait été l'un de ceux qui avaient fichu le camp, soudain, et pris le bateau pour l'Angleterre ? Cela semblait à la fois approprié et profondément injuste qu'un pan aussi large de la vie dépende du hasard. "

Lors d'une livraison au couvent, il se retrouve face à une malheureuse. C'est là le noeud du récit. Face à. Ce frémissement puis cette tension. Va-t-il faire face, alors que les avis sont contraires dont celui de son épouse, rappelant la prudence. Leurs filles suivent les enseignements de St Margaret, le seul établissement secondaire convenable de la ville. Quelles en seraient les conséquences ? Ce que nous ne saurons pas.

La messe, ce jour-là, sembla longue. Furlong écouta, distraitement, plus qu'il ne participa, tout en regardant la lumière du matin qui traversait les hauts vitraux et en observant ce qu'il distinguait du chemin de croix contre les côtés - et lorsque l'heure vint d'aller recevoir la communion, il resta par esprit de contradiction là où il était, dos au mur. " 

Dans ce récit d'une centaine de pages, Claire Keegan nous parle aussi de la situation des femmes sous le regard des hommes, de la société, de la religion, ce qui rejoint le premier sujet; des filles qui doivent se méfier des hommes. La déchéance, les vies volées, c'est pour la fille-mère, pas pour l'homme qui n'a pas pris ses responsabilités, qui a profité. Bill Furlong, en revenant sur son passé, s'inquiète de l'avenir de ses filles.

Ce genres de petites choses est une lecture limpide, lumineuse dans le froid de l'hiver cerné de silences, une présence, une intensité, servie par une plume fine, attentive, sans pathos. Son rythme lent en accentue la profondeur et l'écho. Il en reste le sentiment d'une beauté émouvante, d'une rencontre avec une âme.

... il en vint à se demander à quoi bon être en vie si l'on ne s'entraidait pas. Etait-ce possible de continuer durant toutes les années, les décennies, durant une vie entière, sans avoir une seule fois le courage de s'opposer aux usages établis et pourtant se qualifier de chrétien, et se regarder en face dans le miroir ? ".

Et le talent de la description, de l'atmosphère. Voici les premières lignes :

En octobre il y eut des arbres jaunes. Puis les pendules reculèrent d'une heure et les vents de novembre arrivèrent et soufflèrent, perpétuels, et dépouillèrent les arbres. Dans la ville de New Ross, les cheminées crachaient de la fumée qui retombait et flottait en mèches échevelées, étirées, avant de se dissiper le long des quais, et bientôt la rivière, aussi sombre que de la bière brune, se gonfla de pluie. "

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Ce fut un bonheur de retrouver Claire Keegan.

- Le billet de Jérôme - Celui de Krol -

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Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 21/01/2021

    J'ai du retard à combler, je ne l'ai pas relue depuis "les trois lumières". J'attends celui-ci avec impatience à la bibliothèque. Sous son apparente simplicité, c'est une auteure qui sait dire tant de choses tout en nuances.
    marilire

    marilire Le 21/01/2021

    Je comprends ton impatience ! Espérons que tu n'attendes pas trop. Cette lecture ne peut pas te décevoir.
  • Violette

    2 Violette Le 21/01/2021

    ça fait longtemps que je ne suis plus venue ici^^
    Keegan n'écrit-elle que des textes brefs? C'est la seule chose qui m'avait dérangée pour Les trois lumières... mais j'y reviendrai, à cette autrice.
    marilire

    marilire Le 21/01/2021

    Merci de ta visite :). Il n'est pas trop tard pour te souhaiter une bonne année. Les récits de Claire Keegan sont courts, en effet. Les deux autres livres parus sont des recueils de nouvelles.
  • Kathel

    3 Kathel Le 22/01/2021

    Je ne me précipite pas sur ce roman, malgré le nom de l'auteure, parce que j'ai déjà lu sur ce sujet auparavant sous la plume d'autres auteurs... mais je ne doute pas qu'avec Claire Keegan, cela doit être différent.
    marilire

    marilire Le 26/01/2021

    Effectivement, c'est différent. Plusieurs thèmes se mêlent, notamment celui des origines et de la résilience à travers le personnage principal, un regard masculin.
  • Anne

    4 Anne Le 23/01/2021

    Je ne te lis qu'en diagonale parce que j'ai reçu ce livre en cadeau, j'espère que je serai aussi touchée qu'avec Les trois lumières !
    marilire

    marilire Le 26/01/2021

    Joli cadeau, et je peux répondre sans hésiter : tu le seras.
  • krol

    5 krol Le 24/01/2021

    Dommage qu'elle publie si peu, ses écrits sont d'une telle qualité qu'on en dégusterait davantage...
    marilire

    marilire Le 26/01/2021

    C'est certain, un véritable univers, un regard.
  • titoulematou

    6 titoulematou Le 24/01/2021

    un avis qui donne envie !!! Merci !
    marilire

    marilire Le 26/01/2021

    Avec plaisir :)
  • keisha

    7 keisha Le 10/04/2021

    Une fois libre, j'ai pu emprunter ce livre, unanimement apprécié

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