Colline - Giono

Après l'été avec Giono ( #1 ICI - #2 ICI ), je poursuis ma lecture de l'oeuvre de Giono avec son premier roman publié, paru en 1929.

Ce roman - Colline - s'inscrira dans une trilogie dont il est le premier volume La trilogie de Pan ( suivent Un des Baumugnes puis Regain ). En lisant, on comprend pourquoi cette référence au dieu Pan. Dans ce récit, c'est la relation de l'homme à la nature, une cosmogonie.

Tout vit. Jean Giono donne vie, aux personnages, aux paysages, tout en sensations, en émotions, en images, telle cette " houle marine des herbes ". Métaphore, anthropomorphisme - parfois appuyé qui nous rappelle qu'il s'agit d'un premier roman -, les mots se font profusion charnelle.

- " C'est un soir malade. Le vent s'est élevé du Rhône. Un orage doit boucher le défilé de Mondragon. Tout le jour, le fleuve du vent s'est rué dans les cuvette de la Drôme. Monté jusqu'aux châtaigneraies, il a fait les cent coups du diable dans les grandes branches; il s'est enflé peu à peu, jusqu'à déborder les montagnes et, sitôt le bord sauté, pomponné de pelotes de feuilles, il a dévalé sur nous. Maintenant il siffle autour des Bastides dans les flûtes de pierre que les torrents ont creusées. Les bois dansent. Des lambeaux d'orage passent; une courte foudre gronde et luit. L'air sent le souffre, le gravier et la glace. Une lumière d'eau teint la vitre où le lierre désemparé cogne de son lourd bras de feuille."

Le récit se déroule aux Bastides, un hameau isolé sur une colline de Provence. Quatre familles y sont installées. Et il y a le simplet, Gagou, arrivé là, adopté. Le plus âgé, Janet, de cette communauté, est alité, il se meurt. Durant ses derniers jours, il parle, beaucoup. Il raconte la terre, la puissance de la terre, il semble voir " plus loin que les autres ", voir " ce qu'on ne voit pas ".

" Ces collines, il ne faut pas s'y fier.[...]. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit."

Ce dont Janet parle, c'est d'un tout, dont l'homme ne serait qu'un élément, et non le maître. Le vieillard est dur, méprisant, envers les autres à qui il affirme qu'ils ne comprennent rien. Il génère une inquiétude, puis une angoisse qui se confirme parmi les hommes des familles. La menace plane de cette " colère de la terre ".

- " C'est cruel parce que ce n'est plus seulement l'homme, et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en dessous, l'homme mêlé aux bêtes et aux arbres. Vivante et terrible, il sent, sous ses pieds, bouger la colline."

En pleine chaleur, la fontaine s'assèche. Une enfant est prise de violentes fièvres. La peur saisit les hommes.

" Il a peur. Sa peur est dans lui comme une écharde, et tout son corps est douloureux, autour. [...]. Il ne pense plus à sa puissance d'homme, il pense qu'il a peur, et il se recroqueville dans sa peur comme une noix dans sa coque."

Enfin, un terrible incendie se déclare, se rapproche, prêt à les dévorer.

Dans ce roman prenant, moite, la prose virile sait dire la tension, les silences, la solitude tout en servant la saveur du pays, ses couleurs et ses mots provençaux. Par le talent de la description, l'auteur abolit toute distance, le lecteur voit et respire la colline. Sur les pages, le récit peut paraître simple alors qu'il invite à ce " à voir plus loin ", plus profond, à percevoir-recevoir ce souffle par ses mots si évocateurs.

- Participation au rendez-vous mensuel Les classiques, c'est fantastique - Thème du mois de mai ( publication la dernière semaine ) : titre en un mot -

Commentaires

1 Des Livres Rances Le 04/06/2023

De cette trilogie j'ai un magnifique souvenir de "Regain" !

marilire Le 04/06/2023

Les deux autres volumes de la trilogie me restent à découvrir. D'abord, il y a " Que ma joie demeure " qui m'attend :-).
2 Margot Le 04/06/2023

Superbe chronique !

marilire Le 04/06/2023

Merci.
3 Virginie Vertigo Le 04/06/2023

Belle chronique et belle idée d’avoir choisi ce titre. J’ai lu Colline il y a longtemps et j’ai envie de le relire et découvrir la suite de la trilogie.

marilire Le 04/06/2023

Je te comprends ! Lentement mais sûrement, Giono m'accompagne.
4 nathalie Le 04/06/2023

Ah la la c'est un grand roman ! Je me souviens de ce passage sur le vent, je crois que je l'avais retenu également. Il y a tellement à lire chez Giono (il faut que je m'y remette tiens).

marilire Le 04/06/2023

J'avais noté plusieurs extraits, celui-ci s'est imposé.
5 Dominique Le 04/06/2023

C'est tout Giono que j'aime, j'ai à peu près tout lu à part quelques essais plus politiques qui ne me passionnent pas
C'est toujours du bonheur de revenir à Giono

marilire Le 04/06/2023

Alors, c'est et ce sera le bonheur, il me reste tant à lire.
6 Sandrine Le 05/06/2023

J'a dû le lire quand j'étais en 4e : ça ne s'est pas bien passé. J'ai lu vers la trentaine "Le hussard sur le toit" mais je trouvais que les gens y vomissaient trop. Et là, il y a une quinzaine de jours, j'ai ressorti "Le grand troupeau" et "Le chant du monde" : entre Giono et moi, tout reste à faire.

marilire Le 05/06/2023

Je croise les doigts pour ta lecture de " Le grand troupeau ", ce livre m'a marquée.
7 Ingannmic Le 05/06/2023

Ah, Giono... comme pour Sandrine, j'en garde malheureusement le douloureux souvenir d'une lecture scolaire (pas de celui-là, mais de Regain), et il faudrait que je tente une réconciliation... on m'a vivement conseillé Que ma joie demeure (?).
C'est en tous cas typiquement le genre d'auteur autour duquel une LC pourrait être organisée à la suite de celles sur Mauriac et Aymé, non ?

marilire Le 05/06/2023

Et ce sont des auteurs qui me conviennent bien. Avec plaisir pour une LC auteur avec J.Giono. ( tes commentaires sont bien enregistrés. Comme je suis plus que régulièrement absente, ils sont maintenant modérés. Je les valide ensuite ).
8 Natiora Le 05/06/2023

Je ne crois pas avoir déjà lu Giono et pourtant, vu ce que tu en dis, son univers et son écriture me plairaient sans doute beaucoup.

marilire Le 05/06/2023

A découvrir. Peut-être en commençant par l'incontournable ( et court ) " L'homme qui plantait des arbres ".
9 Bonheur du Jour Le 05/06/2023

Je pensais justement à Colline, hier, alors que j'étais en vue de la montagne de Lure.
Quelle belle idée que cet été avec Giono !

marilire Le 05/06/2023

Ah, évidemment, avec une vue sur la Lure. C'est saisissant comme en lisant on voit, on ressent.
10 Ingannmic Le 05/06/2023

Bon, je me note ça, pour lancer un appel courant juin/juillet avec une date plutôt en fin d'année (à partir d'octobre par exemple), pour laisser passer les vacances, les pavés, la rentrée...

marilire Le 06/06/2023

D'accord, très bien, nous verrons pour l'automne.
11 Fanny Le 05/06/2023

Encore un auteur qui traîne dans ma bibliothèque et que je n'ai toujours pas découvert... Je ne connaissais pas du tout cette trilogie.

marilire Le 06/06/2023

Chaque roman se lit de façon indépendante, c'est la thématique autour de Pan qui les relie en trilogie.
12 A_girl_from_earth Le 06/06/2023

Giono fait partie de mes lacunes littéraires, mais je ne suis pas sûre d'avoir envie de la combler, haha ! Ou il faudrait que je trouve le bon titre, la bonne thématique. Mais je sens que l'expérience Giono, c'est surtout celle de l'écriture, de l'atmosphère retranscrite. Tout un programme.^^
J'ai commencé Le dernier des siens hier, en passant. Enfin juste 3 pages. Tu me diras si tu le liras toujours pour juin, ou plus tard ? Tout me va.^^

marilire Le 07/06/2023

Ce sera plutôt fin juin-début juillet, si cela te convient. Merci de ta patience.
13 L'ourse bibliophile Le 08/06/2023

Je reconnais n'avoir jamais lu cet auteur, mais les extraits que tu partages et ton avis me donnent envie de me laisser tenter...

marilire Le 09/06/2023

A découvrir. Tu as l'embarras du choix.
14 A_girl_from_earth Le 11/06/2023

Parfait ! Je l'ai fini de mon côté... mais je te laisse le découvrir.^^

Ajouter un commentaire

Nom

E-mail

Site Internet