Dans la gueule de l'ours - James A. McLaughlin

Gueule de l ours

- Rue de l'échiquier 2020 - J'ai lu 2021 -

- Traduit de l'anglais ( Etats-Unis ) par Brice Matthieussent -

Pour se faire oublier d'un puissant cartel de drogue mexicain qu'il a trahi, Rice Moore trouve refuge dans une réserve des Appalaches au fin fond de la Virginie, où il est employé comme garde forestier. Mais la découverte de la carcasse d'un ours abattu vient chambouler son quotidien : s'agit-il d'un acte isolé ou d'un braconnage organisé ?L'affaire prend une tout autre tournure quand d'autres ours sont retrouvés morts. Rice décide de faire équipe avec Sara Birkeland, une scientifique qui a occupé le poste de garde avant lui, pour piéger les coupables. Un plan qui risque fort d'exposer son passé.

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Lorsque ce roman est paru, en grand format, j'avais été attirée par le montage photographique de couverture, par l'histoire de réserve et de braconnage. J'ai cédé à la curiosité avec l'édition poche. Heureusement, parce que cette lecture ne me laissera pas un souvenir impérissable, je me suis essoufflée sur la fin.

Il s'agit d'un roman noir bien plus que d'un roman policier, dans la veine écolo avec touches de fantastique. C'est en cela qu'il est intéressant, le foisonnement de thèmes. Sinon, pour l'intrigue, c'est du multiple déjà-lu ( je signale au passage que le photomontage de couverture est mensonger, le récit ne se déroule pas en hiver mais pendant un été caniculaire  ) avec des personnages dont les descriptions - physiques, attitudes - correspondaient tellement bien à leur rôle.

Je reconnais que ma déception vient de mes attentes qui n'ont pas du tout correspondu à ma lecture : j'attendais un roman nettement moins violent, moins redneck-bière- fusil -pick up- coup de poing - biker. Le cow-boy taiseux, à cheval ou en camionnette, planté dans ses bottes, ne m'a jamais fait rêver, ni suscité le moindre intérêt. Du viril, des dialogues hachés et un roman qui tire en longueur, recourant à quelques chapitres en italiques pour des flash-back, le passé à la frontière mexicaine de Rice Moore, les liens avec un cartel mexicain. Justement, je n'imaginais pas qu'il prendrait autant de place ce cartel.

Ce qui m'a retenue durant cette lecture, c'est ce sujet du braconnage, du trafic d'organes d'animaux sauvages, business rentable qui intéresse les mafias. Et, à travers ce sujet, ces approches diverses de la relation des hommes à cette nature sauvage. Les habitants de la région ne comprennent pas cette notion de réserve, espace à préserver, surtout espace fermé. Ils vivent au coeur de cette nature, souvent de cette nature, mais elle paraît toujours hostile, à dominer. Ils se sentent spoliés par les " écofascistes ".

" En tant que gardien de la réserve de Turk Mountain, il représentait de riches étrangers et une éthique de protection de l'environement qui semblait à la fois absurde et élitiste aux autochtones."

" Ici, les ours ont perdu tout respect pour les humains.", dit-on à Rice Moore. C'est à dire que les ours ne craignent plus suffisamment l'homme puisque sur la réserve, il est interdit de les chasser.

J'ai pensé à la rencontre avec l'auteur américain Matthew Neil Null, à ce qu'il expliquait des paradoxes des populations de sa région, la Virginie, région de ce roman Dans la gueule de l'ours - La rencontre avec Matthieu Neil Null ICI - son roman ( qui m'a emballée ) Le miel du lion ICI -

Autre thème typiquement américain, la vengeance ( le principe de faire justice soi-même ) et la pratique, l'accès aux armes à feu. Ce passage est d'anthologie :

Les coyotes [ des passeurs à la frontière mexicaine ] semblèrent se trouver à court de munitions et battirent en retraite pour se réapprovisionner. Ils avaient sans doute quitté le canyon, car Apryl et Rice ne les revirent pas. Apryl interpréta l'incident à sa manière toute personnelle. Après avoir menacé de le tuer si jamais il essayait encore de lui prendre son arme, elle déclara simplement : Faut qu'on s'équipe. Il ne pouvait pas dire le contraire. Quelques semaines plus tard, tous deux suivirent un stage d'entraînement tactique de trois jours près de Phoenix. Trois jours en compagnie de vrais fondus d'armes. Les autres stagiaires étaient tous des citoyens parfaitement respectables, la plupart reconaissaient sans problème qu'ils se préparaient en vue de a) l'insurrection islamique ou socialiste que le nouveau président socialo-musulman allait déclencher, b) la narco-invasion que les cartels mexicains fomentaient de l'autre côté d'une frontière aussi poreuse qu'une passoire, et/ou c) l'invasion toujours imminente des Etats-Unis par les hélicoptères noirs des Nations Unies."

Ce roman semble vouloir interroger d'autres frontières que celle d'avec le Mexique. Par une période hallucinatoire de Rice Moore qui s'ensauvage en tenue de camouflage, vivant comme une immersion dans la réserve, le récit s'évade vers une " expérience spirituelle ", presque chamanique, durant laquelle les perceptions et sensations végétales, animales et humaines se mêlent, fusionnent. Entre rêve éveillé et réalité, cette période donne l'impression d'une catharsis durant laquelle les traumastismes et la peur sont dépassées. La violence humaine face à celle de la Nature. 

" Peut-être disparaîtrait-il tout bonnement, pour se fondre avec la forêt, achever le processus dont il sentait qu'il avait déjà commencé. Encore un fantôme qui hanterait Turk Mountain."

Les pages présentent de belles descriptions de ces présences animales et végétales, de la nature, de sa puissance, de sa fragilité, d'un esprit ( et des esprits ) de cette nature notamment avec la forêt primaire, comme un monde perdu.

" Il s'adossa contre un arbre et laissa son esprit dériver à travers la forêt primaire. Maintenant qu'il était dans le canyon, l'effet semblait moins puissant, mais seulement parce qu'il était plus diffus, réparti entre des entités indivuduelles. Les arbres géants évoquaient des dieux endormis, ils émettaient une vibration qu'il ne parvenait pas à identifier, pas tout-à-fait celle d'un petre sensible, chacun différent des autres, chacun racontant sa propre histoire séculaire. Sur le sol de la forêt, des troncs de châtaignier morts depuis l'épidémie s'étaient transformés en énorme talus putrescents couverts d'une épaisse couche de mousse qui chuchotait paisiblement. Quelque chose l'interpella, il se retourna face à un tulipier noueux et voûté comme un vieillard, excavé par la pourriture, les éclairs, d'anciens incendies."

Une histoire de prédateurs et proies; un roman hanté.

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- Le billet de Kathel ( où j'avais " vendu la peau de l'ours ". Affaire classée ;))

- Lecture partagée avec Ingannmic & Keisha -

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Commentaires

  • Sandrine

    1 Sandrine Le 18/10/2022

    Tu douches un peu mon enthousiasme mais j'ai quand même très envie de découvrir cette maison d'édition (rue de l'échiquier).
    (hier par hasard, j'ai retrouvé le blog de tvless qui est toujours en ligne : elle y racontait une certaine Japan Expo 2009 : j'ai beaucoup pensé à toi !)
    marilire

    marilire Le 18/10/2022

    Je suis curieuse de ta lecture, si tu te décides. J'ai toujours du mal avec ces ambiances " à l'américaine ". ( 2009, punaise ! Un très bon souvenir, épique, mais très bon :))
  • Ingannmic

    2 Ingannmic Le 18/10/2022

    Mince, tu es beaucoup moins enthousiaste que moi... l'aspect "revu" de l'intrigue ne m'a pas sauté aux yeux, sans doute parce que j'ai trouvé qu'évoquer le trafic d'organes d'animaux, ça changeait un peu .. et je crois que j'ai aimé même cette lenteur qui a gâché ta lecture, elle participe à mon avis de la bascule insidieuse du héros dans cet étrange état que provoque la forêt.
    Et je ne suis pas sûre que Keisha ait participé, elle avait oublié la 1e date fixée, et je crois que j'ai moi-même omis de l'avertir du report. Et comme je n'ai plus accès à son blog depuis mon PC, je ne peux pas le vérifier...
    marilire

    marilire Le 18/10/2022

    Je comprends ce que tu veux dire sur la " lenteur " qui permet d'amener la bascule, un peu à la façon d'une métamorphose. Ces lenteurs qui m'ont tenue à distance, ce sont ces dialogues, ces scènes de bar, et le rabâchage sur le cartel.
  • Aifelle

    3 Aifelle Le 18/10/2022

    J'ai fait le tour de vos trois avis et la comparaison est intéressante ; il n'y a plus qu'une chose à faire. Tester soi-même pour se faire sa propre idée.
    marilire

    marilire Le 18/10/2022

    Oui, parce que tu as les lectures en variations :). Ce qui prouve que ce roman ne se réduit pas à son intrigue ( sans réelle suspense, on se doute comment tout va se résoudre pour chacun ).
  • nathalie

    4 nathalie Le 18/10/2022

    Bon je lis ton avis en premier, je sens que les autres ne sont pas de la même teinte. J'avais repéré ce livre "mais sans plus", je ne sais pas si je passerai le cap !
    marilire

    marilire Le 18/10/2022

    Mes co-lectrices sont tout de même plus enthousiastes et motivantes.
  • Kathel

    5 Kathel Le 18/10/2022

    Bah, au moins, ce n'est pas moi qui te l'ai fait acheter, il était déjà dans ta pile au moment de mon billet. ;-)
    J'avais eu quelques réserves en cours de lecture, mais finalement plutôt apprécié ce roman. Le recours facile aux armes à feu est malheureusement une caractéristique américaine. Sinon, j'avais aimé les descriptions de nature et le côté suspense, bien que certains passages soient trop durs à mon goût.
    marilire

    marilire Le 18/10/2022

    Et je l'ai acheté alors qu'une lectrice avait répondu " bof " à ma question ;-). Hélas, je n'ai pas franchement ressenti de suspense.
  • Dominique

    6 Dominique Le 18/10/2022

    Pour moi c'est non je passe même si le lieu du polar me tentait bien mais le sujet lui même m'insupporte un peu je crois que je ne supporte plus les romans liés à la drogue et autres joyeusetés
    marilire

    marilire Le 18/10/2022

    Si tu ne l'as pas lu, je te recommande le roman de Matthew Neil Null, historique, ample. Keisha avait bien accroché aussi.
  • keisha

    7 keisha Le 18/10/2022

    Cela se lit bien, le côté fantastique à part (on peut lire en diagonale) , je repartirais bien pour u n autre de l'auteur...
    marilire

    marilire Le 18/10/2022

    Très bien, pour un prochain, j'attendrai gentiment ton retour de lecture :)
  • Autist Reading

    8 Autist Reading Le 18/10/2022

    A te lire, j'ai le sentiment que ta déception vient surtout du fait que tu n'as pas lu le roman que tu attendais, mais au final, il semble que tu aies tout de même apprécié certains aspects.
    Le sujet me semble très proche d' "Un bon indien est un indien mort", de Stephen Graham Jones vers lequel je louche depuis un moment. Et chez Jones aussi, l'aspect fantastique (croyances indiennes) est présent (c'est ce qui m'a retenu jusque-là de m'y plonger les yeux fermés).
    Le "coup" de la couverture en partie "hors sujet", c'est fort. A la limite de la pub mensongère.
    Je vais aller voir du côté de chez tes co-lectrices.
    marilire

    marilire Le 19/10/2022

    Mes co-lectrices sont bien moins déçues que moi. Je vais attendre ton retour de lecture sur " un bon indien est un indien mort ". Je m'en reviens toujours pas pour la couverture. Il est évident que l'on n'a donné quasiment aucune info à l'illustrateur.
  • A_girl_from_earth

    9 A_girl_from_earth Le 18/10/2022

    Keisha m'avait l'air bien prudente dans son billet - en parler bien mais sans avoir l'air de le recommander. Je comprends mieux en te lisant.^^ Bon, il faut dire que tu avais certaines attentes motivées par tout le marketing autour du livre. La déception est souvent forte dans ces cas-là... Mais tu défends bien ce roman malgré tout.^^
    marilire

    marilire Le 19/10/2022

    J'ai essayé de ne pas tout gâcher par mes attentes, d'être explicite. Et c'est l'avantage des lectures communes, plusieurs regards.

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