En lisant Tourgueniev - William Trevor

Trevor tourgueniev- Phébus Libretto - réédition septembre 2020 -

- Traduit de l'anglais ( Irlande ) par Cyril Veken -

Une jeune fille de la campagne épouse un homme médiocre et subit jour après jour le sadisme sournois de son entourage bien-pensant. Si elle ne se révolte pas, elle cultive dans la solitude de son coeur la mémoire d'un amour manqué : celui qu'elle voua dès l'enfance à son cousin qui l'initia à la beauté des choses... en lisant Tourgueniev. Tandis que s'achèvent ses jours dans une clinique en marge du monde et des gens dits normaux, lui reviennent les souvenirs d'un passé impossible à oublier. 

.

Une lecture irlandaise sur laquelle planent les heures heureuses de lectures russes pour ouvrir le bal des chroniques 2021.

Je n'avais jamais lu William Trevor, voix irlandaise contemporaine. Je le relirai. Par certains aspects, et bien que le contexte en soit très différent, ce court roman m'a rappelé Sonietchka de Ludmila Oulitskaïa.

Le récit se déroule sur deux temps, l'un durant les années 80, l'autre durant les années 50. Sur des chapitres courts, en narration alternée, nous accompagnons Marie-Louise, de son mariage de raison à sa sortie de l'asile qui l'a accueillie durant trente ans, pour un retour au foyer. 

Les souvenirs se déroulent chronologiquement, se précisent, la narration est finement menée. Nous nous approchons un peu plus de Marie-Louise alors qu'elle s'éloigne un peu plus de son environnement. Elle se replie sur elle-même, s'enferme avant d'être enfermée, son esprit s'évade, se libère. Cette claustration est la condition pour vivre libre par la pensée, pour se préserver. Ce renoncement est une exigence.

Ce récit, mélancolique mais pourtant lumineux, est extrêmement émouvant, sans pathos, tout en sobriété. Il dit la détresse d'un coeur jeune, l'émerveillement d'un temps si bref, de ces temps qui font une vie ( comme l'été 36 pour la mère de Lydie Salvayre dans Pas Pleurer ). Il dit aussi la solitude affective, la retraite imaginaire qu'offre la littérature, la saveur des mots et des images qu'elle suscite. Il raconte aussi la communauté protestante d'une petite ville sous l'emprise encore forte de la notion de classe, la fin de cette communauté qui s'expatrie, les carcans et la difficulté des mariages mixtes.

J'ai aimé cette prose sans fioriture, à la fois directe et délicate, sensible; une atmosphère, une émotion, un très beau roman.

La vie n'a rien du fleuve tranquille, affirme-t-elle; elle va dans tous les sens, avec des allées et venues dans le temps. Le présent est à peine là; l'avenir n'existe pas. De toutes les bribes éparses qui font la vie d'un être, la seule chose qui compte, c'est l'amour. "

*

Commentaires

  • Kathel

    1 Kathel Le 06/01/2021

    L'auteur fait merveille aussi dans la forme courte : j'ai beaucoup aimé le recueil de nouvelles Les anges dînent au Ritz et le roman Lucy. Il faudrait que je relise cet auteur, tiens !
    marilire

    marilire Le 07/01/2021

    Relisons le, je vote pour !
  • krol

    2 krol Le 06/01/2021

    Je ne connais pas du tout William Trevor, une voix irlandaise, je note.
    marilire

    marilire Le 07/01/2021

    Une voix discrète en France, il me semble. J'ai cherché un peu pour ce livre.
  • Passage à l'Est!

    3 Passage à l'Est! Le 06/01/2021

    "je me fais une joie de te tenter avec En lisant Tourgueniev :) ", disais-tu hier. Eh bien, c'est réussi. William Trevor aime écrire les destins de femmes, n'est-ce pas?
    marilire

    marilire Le 07/01/2021

    Je le suppose par cette première lecture. Je termine le Kadaré, je suis impressionnée.
  • Aifelle

    4 Aifelle Le 07/01/2021

    Je ne connais l'auteur que de nom. Il ne faut pas que j'en reste là, c'est très tentant. La couverture est belle en plus (élément non négligeable pour moi).
    marilire

    marilire Le 07/01/2021

    Non négligeable, c'est certain. J'ai justement pensé à toi, il s'agit d'un détail d'un tableau de Vilhelm Hammershoi.
  • keisha

    5 keisha Le 07/01/2021

    Jamais lu, mais il est dans ma lal je crois pour un autre titre
    marilire

    marilire Le 07/01/2021

    Ah, ah, alors nous le croiserons à nouveau sur tes pages :)
  • niki

    6 niki Le 07/01/2021

    j'ai lu "my house in umbria" de cet auteur, et celui-ci est dans ma pal - je l'en sortirai sûrement avec plaisir, car j'avais bien accroché à "ma maison en ombrie"
    marilire

    marilire Le 07/01/2021

    Bonne nouvelle, c'est le titre que j'ai noté pour poursuivre :)
  • Tania

    7 Tania Le 07/01/2021

    Une lecture des années 90, bien avant le blog : j'ai reconnu cette belle couverture (Hammershoi) et j'ai retiré le livre de ma bibliothèque (où il est à côté de "Ma semaine en Ombrie") pour le relire.
    marilire

    marilire Le 08/01/2021

    Comme pour moi Harraga, avant le blog. Ah, ce privilège de relire.
  • Lilly

    8 Lilly Le 13/01/2021

    Je crois avoir essayé de le lire il y a très longtemps, mais ce n'était pas le moment. Je pense que j'apprécierai davantage aujourd'hui.

Ajouter un commentaire