Je reste ici - Marco Balzano

Balzano- Editions Philippe Rey 2018 - 10X18 2019 -

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- Traduit de l'italien par Nathalie Bauer -

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Ce roman historique nous raconte la province de Bolzano dans le Sud Tyrol, une zone frontalière entre l’Italie, la Suisse et l’Autriche.

La région, par sa localisation, subit les politiques invasives italiennes et allemandes durant la première moitié du XXème siècle. Autrichienne jusqu’en 1919, cette région fut rattachée à l’Italie après la Première Guerre Mondiale. La population germanophone endura la politique «d’italianisation», une politique favorisant la langue italienne au détriment de la langue allemande, qui fut interdite. L’immigration d’Italiens fut soutenue, réservant les emplois aux émigrants.

C’est à cette époque, à l’orée des années 20, que débute ce roman. Ecrit sous la forme d’une lettre à sa fille disparue, la narratrice, maintenant âgée, relate son histoire, celle de son village - Curon Venosta - jusqu’aux années 60.

Dans le Haut-Adige, la vie est rude, une vie de montagnards, d’éleveurs, de paysans; une petite communauté isolée.

« Jusqu’alors la vie avait suivi le rythme des saisons, surtout dans nos vallées frontalières. Tel un écho qui s’évanouit, l’histoire ne s’était pas élevée jusqu’à nous. Nous parlions allemand, étions chrétiens, travaillions aux champs et aux étables. Cela suffisait pour comprendre les montagnards que nous étions...»

L’arrivée des Italiens, des lois du Duce sont pour eux une invasion. La langue est une barrière, un enjeu, une revendication. Des écoles clandestines pour enseigner l’allemand se constituent, sont réprimées. Notre narratrice termine sa formation d’institutrice, elle ne peut pas exercer.

Sa vie durant, elle sera ballottée par les événements qui frappent sa région : le fascisme de Mussolini, puis les divisions en 1939 lorsque Hitler propose « la Grande Option», celle de partir pour rallier le Reich. L’Allemagne nazie comme alternative au fascisme.

Cet aspect est terrifiant dans cette histoire. Les populations de cette région devaient se tourner vers le nazisme pour échapper aux conditions de vie discriminantes que leur imposait le fascisme.

Au fil du récit, de ces divisions entre les gens du village, nous comprenons la disparition de la fille de la narratrice, embarquée en Allemagne. Cette blessure ne guérira pas, d’autant que ce départ semble un choix de la jeune fille.

« A jamais perdus dans la tentative insensée de te ramener ici. Où tu ne voulais plus vivre.»

Les hommes du village sont enrôlés par l’armée italienne. Cette situation m’a évoqué celle des « Malgré nous» alsaciens. Puis, lors de l’armistice de 1943, lorsque les soldats allemands prennent la région - « Nous devînmes la région méridionale du Reich. La zone d’opération des Préalpes.» -, les hommes sont appelés à s’engager pour le Reich. Nombre d’entre eux deviennent donc déserteurs.

« Je me disais que les fascistes étaient des fumiers : ils voulaient nous noyer, ils nous avaient entraînés dans la guerre et pris Barbara. Les nazis l’étaient tout autant : ils nous avaient dressés les uns contre les autres, ils réclamaient nos hommes dans le seul but de les transformer en chair à canon.»

Le récit se clôt sur la disparition de ce monde, de ce village, son abandon par les jeunes, qui partent, qui ne sont pas revenus ou qui ne reviennent pas; abandon par les politiques aussi. Une nouvelle société se construit. Depuis des années, depuis le début du roman, le projet d’un barrage inquiète, met en péril la survie du village. Après la Seconde Guerre Mondiale, les travaux reprennent. Ils aboutiront à l’expropriation, à l’immersion du village. C’est la photographie de couverture, ce clocher qui émerge des eaux du lac Rezia.

« En terme de progrès, voilà ce que nous étions, en effet. Un petit tas de maisons.»

J’ai lu ce roman à la prose fluide avec intérêt, rapidement prise par la dynamique des chapitres. Cependant, c’est l’historique qui m’a accrochée, la situation terrible de cette minorité, la langue comme identité.

« Désormais les langues étaient des signes raciaux. Les dictateurs les avaient transformées en armes et en déclaration de guerre.»

J’ai pensé à ma lecture de Lisières de Kapka Kassabova, sur les régions frontalières.

J’avoue que la dimension romanesque, les personnages, ne m’ont pas attachée à ce roman, m’essoufflant durant la dernière partie consacrée au barrage. Cette histoire de femme ( fille, épouse, mère ) m’a peu touchée.

En postface, l’auteur écrit : « Mon but - c’est peut-être aussi le cas d’autres écrivains - n’était pas de raconter l’histoire du Haut-Adige ni celle des nombreux villages écrasés par des intérêts politico-économiques irréfutables [...]. En vérité, ces événements ont constitué pour moi un point de départ. Si l’histoire de cette terre et de ce barrage ne m’avait pas semblé, dès le début, susceptible d’héberger une histoire plus intime et plus personnelle, à travers laquelle filtrer l’Histoire avec un grand H; si elle ne m’avait pas paru posséder une valeur plus générale pour aborder les thèmes de l’incurie, des frontières, de la violence du pouvoir, de l’importance et de l’impuissance de la parole, je n’aurai pas, malgré le charme que cette réalité exerçait sur moi, ressenti assez d’intérêt pour m’attarder sur ces épisodes et écrire un roman.»

J’ai été sensible aux thèmes abordés dans ce roman, pas à « l’intime et le personnel».

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- Le billet de Dominique ICI -

- Lecture de Marco Balzano partagée avec Anne -

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Commentaires

  • EIMELLE

    1 EIMELLE Le 17/05/2022

    dommage que la petite histoire dans la grande n'ait pas été plus attachante!
    marilire

    marilire Le 19/05/2022

    La lecture a tout de même été intéressante, mais pas prenante.
  • Anne

    2 Anne Le 17/05/2022

    Les thèmes qui t'ont attirée et que tu soulignes ne m'étonnent pas. Ce roman-ci est en effet plus un coup de coeur que le suivant pour moi. Alors je ne sais pas s'il te plairait...
    marilire

    marilire Le 19/05/2022

    Je crois que le second ne sera pas prioritaire ( j'ai encore du choix en littérature italienne sur les étagères ^^ )
  • maggie

    3 maggie Le 17/05/2022

    dommage pour les bémols car la période est intéressante...
    marilire

    marilire Le 19/05/2022

    Très intéressante, on ne connait pas bien l'histoire complexe de cette région à cette époque.
  • Aifelle

    4 Aifelle Le 18/05/2022

    Même si tu as des bémols sur "l'intime et le personnel", l'intérêt historique me paraît suffisant pour le lire. Je connais très mal l'histoire de ces régions.
    marilire

    marilire Le 19/05/2022

    Il est suffisant, tout le contexte est très bien raconté.
  • Kathel

    5 Kathel Le 18/05/2022

    A propos de cette région du Haut-Adige et de son histoire tourmentée, j'ai beaucoup aimé Eva dort de Francesca Melandri. Du coup, j'avais emprunté celui-ci à la médiathèque, mais ça n'a pas fonctionné, sans doute parce que, comme tu le soulignes, il est difficile de s'y attacher à l'intimité des personnages. (peut-être le style aussi ne m'a-t-il pas accrochée)
    marilire

    marilire Le 19/05/2022

    Je n'ai pas lu Eva dort, alors que j'ai lu les deux suivant de Francesca Melandri, et j'avais beaucoup aimé !
  • Dominique

    6 Dominique Le 18/05/2022

    J'ai beaucoup aimé ce livre, j'ai vu que l'auteur vient de publier un autre récit que j'espère bien lire prochainement
    J'aime cette région que l'on retrouve dans les écrits de Mario Rigoni Stern et Francesca Melandri
    marilire

    marilire Le 19/05/2022

    Je lirai le roman de Francesca Melandri. J'aime l'écriture de l'autrice et le sujet m'intéresse toujours.
  • A_girl_from_earth

    7 A_girl_from_earth Le 19/05/2022

    Celui qu'a lu Anne me parle davantage et j'avoue que ce que tu dis de celui-ci (sur l'intime et le personel) me laisse penser que je n'y trouverai pas mon compte malgré la dimension historique qui semble valoir tout de même le détour.

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