L'Origine du monde - Claude Schopp

Vie du modele

- Libretto - 2021 -

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Claude Schopp, spécialiste d’Alexandre Dumas, a découvert, par l’étude de la correspondance entre Dumas fils et George Sand, le nom de la femme ayant été la modèle du peintre Gustave Courbet pour le tableau L’Origine du Monde.

Au-delà du scandale et de la polémique artistique générés par la célèbre toile, Claude Schopp s’attache à donner vie à cette femme : « un visage et une âme sont restitués à celle dont le sexe incarne la peinture réaliste.» ( quatrième de couverture ).

Ce court récit d’une centaine de pages, biographique, en trois parties, trois portraits, trois périodes dans la vie de mademoiselle Constance Queniaux ( 1832-1908 ), est très intéressant parce qu’il est également un portrait d’époque.

L’auteur explique le comment de sa découverte et ses recherches, avec amples précisions et rigueur ( actes d’état civil, archives du musée d’Orsay et de l’Opéra Garnier, catalogues de ventes, actes notariés ). Les extraits de lettres sont édifiants par la violence des mots contre G.Courbet, le communard, le peintre réaliste.

En lisant, j’ai pensé au récit de Camille Laurens La petite danseuse de 14 ans, modèle de Degas. Constance Queniaux est placée à l’Opéra en 1847, elle a 14 ans également, jeune danseuse vouée aux « protecteurs ».

« Au XIXème siècle, la danseuse de l’Opéra hante autant l’imaginaire collectif que la scène, les coulisses et le foyer de la danse. Elle constitue la figure érotique par excellence [...] L’Opéra de la rue Le Peletier, lorsque Constance signe son premier contrat, est le centre mondain de Paris, en même temps qu’un terrain de chasse où les hommes du monde, avides de plaisirs, poursuivent de jeunes femmes réputées libre de mœurs, sensuelles et libertines : les danseuses et, à moindre degré, les chanteuses.

Les danseuses de l’Opéra sont généralement issues de familles pauvres et démunies, des classes défavorisées, souvent illettrées. Elles représentent un espoir pour les leurs, la promesse d’un avenir meilleur, un tremplin vers le monde des puissants et des fortunés. Pour réussir, les danseuses doivent toujours plaire à des hommes.»

Constance Queniaux est reconnue pour son talent de danseuse et ses « yeux si beaux », elle est discrète et élégante, avisée, elle thésaurise et s’intéresse aux objets d’art. Lorsqu’elle quitte l’Opéra, elle a 27 ans, elle est une courtisane, une « demi-mondaine» recherchée dont le nom apparaît régulièrement dans les gazettes du « grand monde».

« D’autres revenus que la morale réprouvait, mais que la vie parisienne autorisait, avaient pris la relève.

La pente est glissante qui mène de la danse à la galanterie, d’autant que le discrédit touchant cette dernière s’est amoindri depuis La Dame aux camélias. L’oeuvre de Dumas fils a marqué en littérature le commencement du règle des courtisanes en offrant au public la touchante figure de Marie Duplessis »

Sa discrétion et sa retenue intriguent, rien de tapageur avec Mademoiselle Queniaux, amie fidèle, présente aux représentations de la Comédie Française et de l’Opéra. Elle a la réputation de porter chance. L’un de ses rares amants connus, le diplomate ottoman Khalil-Bey qui vécut quelques années à Paris comme un prince oriental, en est convaincu. Il est le commanditaire du tableau L’origine du monde.

Constance Queniaux acquiert rapidement l’aisance financière qui lui permet de s’affranchir.

« Elle a tôt saisi que la galanterie était le seul chemin qui pourrait lui fournir une revanche sociale

Sa troisième vie est une vie de dame « d’oeuvres et de culture », respectée, philanthrope. Elle devient propriétaire d’une villa à Cabourg et membre actif de l’Orphelinat des arts pour les enfants d’artistes. Marraine de trois enfants, elle prévoir, dans son testament, de protéger les deux jeunes filles avec une rente substantielle.

Constance Queniaux a dépassé sa condition sociale, a su se libérer d’une prédestination dans un monde d’hommes. Malgré la crudité du tableau L’Origine du monde, comme l’écrit Claude Schopp, il faut voir « un corps triomphant ».

La postface, signée Sylvie Aubenas, nous rappelle l’histoire de ce tableau controversé ( alors que l’époque est celle de la diffusion de la photographie pornographique ).

Le scandale est justement dû au cadrage, frontal, à l’anonymat, ainsi qu’à la peinture « d’après nature ». Ce qui gêne également, c’est que le corps n’est pas érotisé-sublimé, alors qu’aucun amateur ni critique ne s’offusquaient des peintures de déesses dénudées - prétextes -, des nus féminins suggestifs. Ce tableau est un marqueur dans l’Histoire de l’art et une prouesse picturale, notamment pour le travail des couleurs tout en nuances pour le rendu de la peau.

Ce tableau a longtemps été réservé à un petit nombre d’initiés, il n’était quasiment jamais exposé ( une fois en 1988 pour une exposition à New-York, une seconde fois en 1992 au musée Gustave Courbet à Ornans ). L’Origine du monde est acheté par le psychanalyste Jacques Lacan en 1955. Il dissimule la toile sous une autre, un tableau qu’il demande au peintre André Masson, son beau-frère. André Masson peint un paysage intitulé Terre érotique suivant les lignes de L’Origine du monde, sous lequel on le devine.

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Origine du monde lacan

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Le tableau revient au musée d’Orsay en 1995.

Si vous visitez la salle consacrée à la peinture de Gustave Courbet, vous constaterez que dans cette salle un gardien est présent et que les visiteur ne s’arrêtent pas vraiment devant l’Origine du Monde.  

Ces années-là, Gustave Courbet travaille les nus féminins.

Pour la finesse du pinceau, voici La Femme au perroquet peint en 1866, la même année que L’Origine du monde.

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1866 gustave courbet woman with a parrot

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Commentaires

  • Sandrine

    1 Sandrine Le 08/01/2023

    Au cours de mes petites recherches sur l'art (je te préviendrai quand les podcasts seront en ligne, il y en a un dont tu es à l'origine), je me suis intéressée au tableau (et au scandale surtout) et j'ai lu quelque part (mais où ?) que certains pensaient que cette Constance n'était pas le modèle de Courbet. Mai ça ne m'empêcherait pas d'apprécier ce texte, je suis très Second Empire en ce moment...
    marilire

    marilire Le 08/01/2023

    Je crois que l'identité du modèle fera toujours débat. Avec grand plaisir pour tes podcast !
  • keisha

    2 keisha Le 08/01/2023

    Que ce soit elle ou pas, c'est un livre intéressant je suppose.
  • niki

    3 niki Le 08/01/2023

    Un vraiment beau billet, très intéressant qui m’a appris quelques choses comme beaucoup de tes billets d’ailleurs

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