La Géante - Laurence Vilaine

La geante

- Zulma 2020 -

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Noële a toujours vécu au pied de la Géante, la montagne immuable qui impose son rythme, fournit les fagots pour l'hiver, bleuet, bourrache, gentiane pour les tisanes et les onguents. Elle est un peu sorcière, a appris les plantes et la nature sauvage grâce à la Tante qui les a recueillis, elle et son frère Rimbaud qui ne parle pas mais chante avec le petit-duc. Elle sait qu'on ne peut rien attendre du ciel, et n'a plus levé les yeux vers le soleil depuis longtemps. Repliée dans cet endroit loin de tout, elle mène une existence rugueuse comme un pierrier. Soudain surgit dans sa vie l'histoire de deux inconnus. Elle découvre par effraction ce que peut être le désir, le manque, l'amour qui porte ou qui encombre. Elle s'ouvre au pouvoir des mots.

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Ce roman La Géante, c'est un joli moment de lecture, une belle écriture sur une narration maîtrisée qui, avec ses longues phrases toutes en sobriété, nous emmène sur les chemins de l'amour et ceux du deuil. La Géante, c'est la montagne qui fait face, ses sentiers les métaphores de vie. Ce roman a des allures de récit initiatique.

Ce récit s'enroule autour de trois personnages plus un, à rebours. Un homme seul, malade, s'intalle au village. Il s'appelle Maxim. Reporter, urbain, il se coupe de son monde, se détache, rassemble ses forces pour sa guerre contre le cancer qui lui fait peu à peu perdre la vue. Une jeune femme, photographe, amoureuse, lui écrit, son désir, de lui, de le revoir, de le rejoindre. Elle s'appelle Carmen. Entre eux, Noële, femme oubliée, qui s'est oubliée dans ce village dont elle n'est jamais sortie, devient " le facteur " de cette relation douloureuse en transmettant les lettres de Carmen à Maxim. Jusqu'à ce que Maxim ne souhaite plus les lire, ne plus les recevoir; jusqu'à ce que Noële les conserve, les lise, devenant la gardienne de cet amour qui se meurt.

A travers les mots, Noële va découvrir un immense horizon, un paysage émotionnel inconnu, pas seulement celui du sentiment amoureux, simplement celui de l'amour, la chaleur de la présence, du regard, des caresses, du corps; un univers d'émotions, de sensations qui s'expriment autant par les gestes, les yeux que par les mots.

Quand mes jambes flageolent, c'est à cause des kilomètres et de la fatigue, mais jamais elles n'ont tremblé d'impatience ou de plaisir. Elles ne savent pas ce qu'est courir vers le bonheur, elles ignorent même ce qu'est l'attendre - ce sont les lettres, soir après soir, qui m'ont appris la voix qui tremble. Je marche sans réfléchir sur des chemins que je connais par coeur et les chemins savent tout de moi ... "

Des mots, je n'en ajoute pas, il faut les lire dans ce livre. Nous découvrons leurs histoires, personnelles et mêlées, lors de l'ascension de la Géante, Noële suivant Carmen finalement venue; nous rencontrons ce quatrième personnage, surnommé Rimbaud, un beau personnage, aussi discret que nécessaire. A chaque étape de ce chemin, les souvenirs et la Géante, sa végétation, ses pierres, ses heures et ses saisons, ses souffles, sa population, ses dangers, ses dons, sa " nature ", le corps à corps.

Ce roman, sous le flux des phrases, des descriptions, est envoûtant, rude et doux à la fois. En lisant les pages, on ressent le froid, mais également la tendresse avec un petit goût d'amertume, une attention toujours - aux personnages, à l'environnement, à la nature - une pudeur sans complaisance, une humilité aussi; on perçoit l'écho et ce respect des silences malgré les cris de détresse. Laurence Vilaine sait écrire les silences.

Ils sont montés dans les sommets, ses coups dans la caillasse, et les montagnes se sont refilé leurs échos, c'est leur manière de se débarrasser des tourments des humains pour revenir au silence et continuer de vivre des nuits paisibles sous les étoiles, enfin c'est ce qu'on croit, parce que ça ne disparaît jamais ces choses-là, ça tombe dans le fond et un jour ou l'autre, ça remonte avec la débâcle ou les crues, ça fait couler la boue et jamais c'est la paix. Au fond des gorges, les douleurs des femmes et des hommes troublent les eaux claires, des hivers durant les chagrins essaient de remonter à la surface mais ils n'y arrivent jamais - on le sait quand vient l'été, le niveau des eaux baisse et on voit des marques de griffes sur les parois. "

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Ce roman, court et dense, s'ouvre sur une citation extraite du roman de Jon Kalman Stefansson La tristesse des anges, qui annonce le récit :

" Partir dans les montagnes par une nuit calme et sombre comme l'enfer pour y trouver la folie ou la félicité, c'est peut-être cela, vivre pour quelque chose. "

Lors d'une rencontre en librairie ( au Bonheur des ogres à Lyon ), Laurence Vilaine a précisé comme elle a aimé ce roman de Stefansson, toute la trilogie, cette nature sauvage et rude décrite, cette confrontation de l'homme à la nature, cette nature qui le met face à lui même. Elle a relu ce livre au début de l'écriture de La Géante

A propos de relecture, le libraire recommande de lire le roman deux fois, la première pour le style, la seconde pour le récit, sa subtilité. J'ajoute pour ce foisonnement d'émotions, de sensations, de descriptions qui résonnent peu à peu à chaque pas. Et la poésie.

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De Laurence Vilaine, je vous recommande également son grand premier roman : Le silence ne sera qu'un souvenir ( Publié aux éditions Gaïa, maintenant disponible dans la collection poche Babel d'Actes Sud ).

Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 29/11/2020

    Un roman qui m'intrigue depuis sa sortie et que j'espère bien lire prochainement.
    marilire

    marilire Le 29/11/2020

    Je crois qu'il a tout pour t'intéresser et te plaire.
  • Dominique

    2 Dominique Le 30/11/2020

    il est sur ma liste de lecture
    je n'ai pas pu aller la rencontrer au Bonheur des ogres hélas et je le regrette
    mon rythme de lecture est lent aussi lire deux fois en ce moment ça tiendrait du miracle
    marilire

    marilire Le 01/12/2020

    Quel dommage pour la rencontre. Je suis lente également, relire est un privilège. Je crois que je vais me l'offrir, ce privilège.
  • Anne

    3 Anne Le 30/11/2020

    C'est une lecture de saison, dirait-on... Ca tombe bien, elle est dans ma PAL ;-)
    marilire

    marilire Le 01/12/2020

    Excellent choix :)
  • krol

    4 krol Le 06/12/2020

    Bravo ! J'ai envie de découvrir cette auteure que je ne connaissais pas.

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