
- Actes Sud - Janvier 2019 -
1524, les pauvres se soulèvent dans le sud de l'Allemagne. L'insurrection s'étend, gagne rapidement la Suisse et l'Alsace. Une silhouette se détache du chaos, celle d'un théologien, un jeune homme, en lutte parmi les insurgés. Il s'appelle Thomas Müntzer. Sa vie terrible est romanesque. Cela veut dire qu'elle méritait d'être vécue ; elle mérite donc d'être racontée.
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A sa façon qui fait son style, Eric Vuillard s'empare d'un événement et/ou de personnages historiques, et retrace, de sa plume vive et enlevée à la pointe ironique, ses implications au cours de cette période historique.
J'ai cédé à la curiosité pour ce petit opus, intéressée par cette époque de la Réforme. Si la majorité de ce court récit se déroule effectivement en Allemagne, ce qui concerne le mouvement lié à la Réforme est parallèle. Ce que nous raconte Eric Vuillard est dans l'esprit de ce temps, s'y inscrit, notamment avec la révolution que sera la traduction de la Bible et les messes dans la langue du peuple, la fin de la suprématie du latin.
" On veut entendre la Parole en allemand, on veut enfin savoir ce qu'on nous racontait depuis si longtemps dans cette langue étrange; on en a marre de répéter amen et ces couplets que l'on ne comprend pas. Et ce n'est pas insulter Dieu que de lui demander gentiment de parler notre langue. Müntzer dit la messe en allemand. Et lorsque le comte de Mansfeld interdit à ses sujets de venir l'écouter, il change de ton; un autre Müntzer apparaît, fâché, courroucé, comme on dit dans les bibles. "
Ce récit est politique, au sens premier du terme. Il relate des soulèvements populaires, des révoltes paysannes et urbaines, remontant dans le temps, jusqu'au XIVème siècle en Angleterre. Ce récit ressemble à un conte réaliste, flirtant avec l'oralité, en panorama historique d'à peine 80 pages. Ce qui explique le titre. Et le lyrisme. Ainsi que l'echo d'actualité que certains perçoivent.
J'ai été un peu gênée à la lecture par le glissement d'un registre à l'autre ( intervention abrupte de familier, de cynisme ) dans le choix d'un mot qui surprend, interpelle, même si ces mots apparaissent d'un coup comme des piques.
" Le temps passa; il vécut avec sa mère, sans doute chichement. Son coeur le faisait souffrir. Sous les chênes, les sapins, sur la terre pauvre du Harz, tandis qu'avec d'autres enfants il courait après les cochons, il devait s'arrêter seul, soudain stupide, et pleurer. Oui, je l'imagine au bord d'une rivière de petits cailloux noirs, la Wipper ou le Krebsbach, peu importe, ou bien sur les flancs des petits sommets tristes de chaos rocheux, collines érodés, tourbières miteuses, dans la vallée de la Bode ou de l'Oker, étouffant dans un mélange d'amertume et d'amour.
Enfin, il fit des études à Leipzig, puis devint cureton à Halberstadt, à Brunswick, puis provost ici et là, puis, après bien des tribulations parmi la plèbe des partisans de Luther, il sortit de son trou en 1520, lorsqu'il fut nommé prédicateur à Zwickau. "
Eric Vuillard nous raconte un homme en colère, violent, extrême, convaincu, messianique, affirmant que " Il faut tuer les souverains impies ", allant bien plus loin que Luther, appelant à une lutte armée contre les oppressions du pouvoir, de l'Eglise - " Le fond devient social, enragé. " - J'ai lu cette phrase très juste : " Les querelles sur l'au-delà portent en réalité sur les choses de ce monde. "
La lecture de cet opus est aussi rapide qu'intéressante, sans toutefois qu'il y ait réellement de réflexions sur le sujet. Des évidences oui, des appels à la justice sociale, à l'égalité ( promise dans les textes saints ) depuis si longtemps - " Les mots sont dits de nouveau : ni par l'argent ni par le pouvoir ni par les princes " -, avec quelques digressions " poétiques ", marques aussi pour moi du style de l'auteur.
Au delà de l'aspect " exercice de style ", mon second bémol concerne l'absence totale de bibliographie, de sources, quant à ce récit.
Mon bonus quant à lui est l'heureux souvenir de la visite du musée de l'imprimerie Gutenberg à Mayence, y admirer cette première Bible imprimée reste un grand moment. ( il y a aussi les magnifiques vitraux bleus de Chagall à Mayence ).
" Cinquante ans plus tôt, une pâte brûlante avait coulé depuis Mayence sur tout le reste de l'Europe, elle avait coulé entre les collines de chaque ville, entre les lettres de chaque nom, dans les gouttières, par les méandres de chaque pensée; et chaque lettre, chaque morceau d'idée, chaque signe de ponctuation s'était retrouvé pris dans un bout de métal. On les avait répartis dans un tiroir en bois. Les mains en avaient choisi un et encore un et on avait composé des mots, des lignes, des pages. On les avait mouillées d'encre et une force prodigieuse avait appuyé lentement les lettres sur le papier. On avait refait ça des dizaines et des dizaines de fois, avant de plier les feuilles en quatre, en huit, en seize. Elles avaient été mises les unes à la suite des autres, collées ensemble, cousues, enveloppées dans du cuir. ça avait fait un livre. La Bible. "
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- Le billet de Dasola -
Je n'ai pas lu L'ordre du jour. J'avais été déçue par 14 juillet par rapport à mes lectures précédentes de l'auteur. J'y avais bien moins retrouvé le talent littéraire. Mon favori demeure l'excellent Tristesse de la terre et ses flocons de neige, pour la résonance contemporaine de notre société de spectacles, pour la beauté du texte ( avec la chance d'une rencontre avec Eric Vuillard ICI ).
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Commentaires
1 Kathel Le 12/02/2019
2 Marilyne Le 12/02/2019
3 Ingannmic Le 12/02/2019
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4 Anne Le 12/02/2019
5 Aifelle Le 13/02/2019
6 Dominique Le 13/02/2019
mais par contre je n'aime pas les livres de cet auteur, sous couvert de livres d'histoire il assène sa vérité sans jamais la contrebalancée par un avis différent
7 Marilyne Le 13/02/2019
@ Anne : j'ai également encore Congo sur les tablettes ;-)
@ Aifelle : tu auras certainement l'occasion de l'attraper en bibliothèque. ( rien à faire, L'ordre du jour ne me tente toujours pas :-p )
@ Dominique : nous nous rejoignons pour l'intérêt sur la période historique. Tu risques la frustration... mais il y a des pistes intéressantes. Quant à Eric Vuillard, la réécriture d'événements historiques devient un fond de commerce, il ne se renouvelle pas, pourtant il a du style !
8 Annie Le 13/02/2019
9 Ada Le 13/02/2019
En tout cas, avec ta chronique, ça a l'air plus intéressant que ce que je pensais. Par contre, c'est une période de l'histoire que je connais peu, c'est difficile à suivre du coup ?
10 keisha Le 14/02/2019
11 Marilyne Le 14/02/2019
@ Ada : je n'ai pas lu L'ordre du jour mais je crains en effet que " ça recommence ". C'est intéressant pour la découverte de ces événements historiques même si c'est plutôt frustrant. Cela ne m'a pas semblé difficile à suivre, l'auteur contextualise les faits, mais en revanche assez peu la période ( et la géographie ); il joue à l'universel...
@ Keisha : ah, curieuse de ton retour de lecture ( ben oui, c'est frustrant sans bibliographie )
12 maggie Le 14/02/2019
13 Marilyne Le 14/02/2019
Pour celui-ci, il est peu question de la Réforme mais les mouvements populaires sont dans l'esprit, à la même époque.
14 Ann Le 16/02/2019
15 Marilyne Le 16/02/2019
16 MTG Le 17/02/2019
17 Marilyne Le 18/02/2019
18 Lili Le 20/02/2019
19 Marilyne Le 20/02/2019
20 CecileSBlog Le 26/02/2019
21 Marilyne Le 27/02/2019
22 Mina Le 11/03/2019
23 Marilyne Le 11/03/2019