Le bal des folles - Victoria Mas

Bal des folles

- Albin Michel - 2019 -

 

Chaque année, à la mi-carême, se tient un très étrange Bal des Folles. Le temps d'une soirée, le Tout-Paris s'encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Cette scène joyeuse cache une réalité sordide : ce bal " costumé et dansant " n'est rien d'autres qu'une des expérimentations de Charcot, adepte de l'exposition des fous. Parmi elles, Eugénie, Louise et Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté, dans ce premier roman qui met à nu la condition féminine au XIXe siècle.

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Le bal des folles est un premier roman, certes, mais je ne vais pas être indulgente.

La lecture de ce roman est plaisante, rapide, facile. Trop rapide, trop facile, frustrante. J'ai été attirée par le contexte médical et social. J'ai lu un récit féministe au propos très appuyé et si romanesque que ce contexte n'en est qu'une toile de fond à peine exploitée. 

J'imagine les recherches qu'a dû effectuer l'auteure. Dommage qu'elle ne s'en serve pas plus. Le lieu, l'hôpital de la Salpétrière, est bien décrit. Toutefois, les scènes y sont répétitives comme le propos dénonciateur. Victoria Mas s'attarde peu sur l'aspect médical au profit du voyeurisme en pratique, les séances de cours hebdomadaires publiques données par Charcot. Du fondement des recherches, les procédés, leur usage, leur impact, il ne sera pas question. 

En réalité, ce que raconte ce roman, c'est l'histoire de Geneviève, infirmière-intendante dévouée, murée dans sa fonction, qui verra ses convictions bouleversées lors de sa rencontre avec Eugénie, jeune fille issue de la bourgeoisie ayant un don de médium, dont le père signe l'internement. C'est là que l'ennui et la déception m'ont saisie. Finalement, le sujet semble plus être celui de l'acceptation de la différence, d'autres façons de percevoir le monde, de savoir douter ( avec Geneviève, il sera également soulevé les doutes autour de la foi ) que de l'accueil et les soins prodigués aux femmes internées. Parce que le propos est qu'elles ne bénéficiaient pas de soins, qu'à la Salpétrière étaient enfermées ces femmes qui dérangent l'ordre social; ces femmes victimes de la société, par cette société machiste et patriarcale qui ne se préoccupe pas des coupables de leur situation ( inceste, prostitution ). De l'aliénation sociale. Les femmes sont enfermées par les hommes, ces pères, ces maris. C'est clairement écrit et répété. Et c'est certain. Ce qui m'a gênée, c'est cette impression d'enfoncer des portes ouvertes sur la condition féminine fin XIXème; cette lecture de propos binaires opposant hommes/femmes ainsi que bourgeoisie/peuple. Et puis, cette impression parallèle diffuse que le féministe basique et la sororité, ce sont des thèmes vendeurs. 

Deuxième gêne, le spiritisme, l'occulte. D'accord, c'est d'époque. Mais dans ce cas, le contexte de la Salpétrière n'était pas plus nécessaire que ça puisque dès le premier tiers du roman, celui-ci se réduit à cette relation Geneviève l'infirmière chef - Eugénie la médium, la seconde permettant à la première de communiquer avec un être cher décédé. La tournure, sans suspense, qu'a pris le récit alors m'a semblé mêler les genres même si je suppose que l'idée était toujours d'opposer le carcan des " moralités normatives " à la différence. En arrière-plan, l'histoire de deux autres femmes internées. J'avoue avoir terminée cette lecture par curiosité ( le fameux bal en est la scène finale ) espérant  comme un " supplément d'âme ". Ce récit s'est terminé sans surprise.

Il y a pourtant de nombreux fils à tirer dans ce récit, des fils qui s'emmêlent, celui de la liberté, celui de la " sorcière ".

Ce roman manque de profondeur et de style, un style plat, académique, pourtant le récit est très dialogué. J'ai regretté les descriptions plaquées, convenues, des rues de Paris, des intérieurs bourgeois.

Je n'ai absolument pas lu ce que j'attendais. J'attendais un choeur de femmes, un cri peut-être, une réflexion en filigranne sur l'accueil psychiatrique, sur les travaux de Charcot.

Et je m'attends maintenant à être minoritaire dans ma déception, le romanesque et le féminisme du récit l'emporteront certainement. Je n'ai pas encore lu La salle de bal de Anna Hope ( dont j'avais particulièrement apprécié le premier roman Le chagrin des vivants ) dont le sujet est proche, je ne sais si je dois en hâter la lecture ou au contraire la différer.

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Commentaires

  • krol

    1 krol Le 06/09/2019

    La salle de bal d'Anna Hope est un très bon roman. Visiblement, ce qui t'a dérangé ici, c'est surtout le style.
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    Le style, c'est certain, qui m'a laissée à distance, dont je voyais trop les ficelles, mais surtout c'est le fond. Je m'intéresse au sujet, j'étais curieuse du traitement dans ce roman, j'attendais Salpêtrière pas spiritisme !
  • Aifelle

    2 Aifelle Le 07/09/2019

    Je plussoie "la salle de bal" est un très bon roman qui équilibre bien le romanesque et la condition des femmes dans un milieu et une époque. Je suis tentée par le le roman de Victoria Mas, mais je vais l'attendre à la bibli. Il me fait penser irrésistiblement aux "folles d'enfer de la Salpêtrière" de Makhi Xenakis, mais tu avais peut-être vu l'expo à la chapelle de la Pitié-Salpêtrière : https://www.actes-sud.fr/catalogue/actes-sud-beaux-arts/les-folles-denfer-de-la-salpetriere
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    Je ne connais pas du tout, grand merci pour les références et le lien.
  • Kathel

    3 Kathel Le 07/09/2019

    Visiblement, tu t'attendais à un tout autre roman ! C'est rageant pour toi, mais ça fait du bien de lire une critique à contre-courant. (bon, il ne faisait pas partie de ceux qui me tentaient le plus, donc ma liste reste telle quelle... )
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    Mauvaise pioche, cela faisait longtemps que cela ne m'était pas arrivée ! Je me suis laissée prendre au sujet, à mon intérêt pour la période aussi.
  • Goran

    4 Goran Le 07/09/2019

    J’avoue qu'Albin Michel je n’ai pas confiance... Il me semble même ne les avoir jamais lus...
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    J'en lis peu, mais tout de même, il y a la collection Terre d'Amérique dans laquelle il y a d'excellents titres.
  • Lili

    5 Lili Le 07/09/2019

    Je ne sais pas pourquoi, je pressentais la médiocrité de ce roman. (Encore mon complexe du melon pétri de préjugés sûrement, n'empêche que des fois, il voit juste). Il était beaucoup trop médiatisé et semblait beaucoup trop plein de sujets consensuels et à la mode pour être véritablement de qualité. Je rejoins d'ailleurs le commentaire de Goran juste au-dessus du mien : franchement, les parutions françaises d'Albin Michel sont très inégales ces dernières années. Ça me rend de plus en plus méfiante à leur égard.
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    La curiosité a été plus forte que le melon chez moi ;-). Je ne suis pas trop le médiatisé, je vois passer mais je ne lis les critiques qu'après avoir lu le livre ( et en fait, j'ai vu des présentations, pas de critiques )
  • Dominique

    6 Dominique Le 07/09/2019

    je vais en rester à la Salle de bal que je n'ai toujours pas lu mais qui m'attend
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    C'est le choix que j'aurai dû faire...
  • Ingannmic

    7 Ingannmic Le 07/09/2019

    Le synopsis fait en effet immédiatement penser à celui de La salle de bal (que j'ai beaucoup aimé) et est très alléchant, mais je m'arrêterais à tes bémols. Un style "plat" comme tu dis, est pour moi rédhibitoire..
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    Tout-à-fait d'accord, lorsque l'écriture ne porte pas le sujet, l'émotion et l'intérêt restent à distance.
  • Anne

    8 Anne Le 07/09/2019

    C'est rare que tu sois aussi peu indulgente mais après tout, on ne va pas encenser des romans qui ne le méritent pas. Dommage que ce soit un raté de la rentrée littéraire. Albin Michel est plus "sûr" dans sa collection Terres d'Amérique ; pour les francophones ça dpend des goûts (ils ont quand même la vache à lait belge Amélie Nothomb...) ;-)
    marilire

    marilire Le 07/09/2019

    Ce n'est pas ce que je préfère ces chroniques négatives. Je ne regrette tout de même pas d'avoir cédé à ma curiosité. Et puis, finalement, j'ai commencé par la déception, tant mieux, maintenant je n'ai entre les mains que du bon, de très belles lectures.
  • Autist Reading

    9 Autist Reading Le 07/09/2019

    Je comprends ta déception et ta frustration : à la lecture du synopsis, je me serais attendu à trouver dans ce roman la même chose que toi. Je vais donc m'abstenir.
    Pour ce qui est de La salle de bal, j'ai personnellement trouvé, comme toi pour ce roman, que c'était une lecture "facile, rapide, plaisante". Je serais étonné qu'il sauve cette lecture ratée. Donc, a priori, je te conseillerais plutôt de différer sa lecture jusque.... au moins :)
    marilire

    marilire Le 08/09/2019

    Je sais très très bien différer des lectures :)
  • keisha

    10 keisha Le 10/09/2019

    Sandrine (tête de lecture) a attiré mon attention sur ton billet et ce livre. Mouais, mouais, tes arguments font mouche, la partie medium m'aurait fait lâcher.
    marilire

    marilire Le 10/09/2019

    Ravie de te (re)lire Keisha. Effectivement, la partie médium occulte ( pas pu m'en empêcher ;)) le récit, du moins ce que l'on pouvait en attendre.
  • Annie

    11 Annie Le 14/09/2019

    Je te sens bien en colère et je te comprends Maryline. Rien de plus frustrant que ces livres aux critiques très élogieuses, et qui se trouvent être en fait tout à fait médiocres. C'est pour cela que j'évite soigneusement certaines nouveautés. Bon week-end à toi (avec un bon livre !).
    marilire

    marilire Le 16/09/2019

    Tu as raison ! Je suis d'autant plus en colère que je n'ai pas lu de critiques avant d'acheter ce livre, j'ai céder à la curiosité, très motivée par le thème, sans plus y réfléchir ! Heureusement, les lectures suivantes ont été magnifiques.
  • eimelle

    12 eimelle Le 17/09/2019

    il me tentait bien, à voir, j'ai aussi la salle de bal dans ma pal, il faudrait que je l'en sorte aussi!
    marilire

    marilire Le 18/09/2019

    Je ne suis donc pas la dernière pour La salle de bal ;). Je vais attendre un peu pour m'y plonger parce que j'en attends plus que cette lecture.
  • Cécile

    13 Cécile Le 26/09/2019

    C'est vrai que je vois passer beaucoup d'avis positifs mais il ne me fait pas très envie, alors je me range facilement à ton avis.
    marilire

    marilire Le 27/09/2019

    J'ai vu aussi passer quelques avis, je t'avoue que je ne m'y attarde pas ( et je vais te dire, pour moi, typiquement, ce roman est un symptôme... ;))
  • Cécile

    14 Cécile Le 26/09/2019

    Mon précédent commentaire a été tronqué, je disais Au fait, c'est Cécile, j'ai à nouveau un blog.
    marilire

    marilire Le 27/09/2019

    Bonne nouvelle ! Bonjour Cécile :-D
  • Noukette

    15 Noukette Le 26/09/2019

    Mince de mince... j'étais tentée, je l'ai acheté mais là tu me refroidis sacrément !
    marilire

    marilire Le 27/09/2019

    Et bien, tu vas pouvoir te faire ton avis... Curieuse de ton retour de lecture.
  • ellettres

    16 ellettres Le 09/10/2019

    Tout comme toi, je me méfie de ces romans trop "faciles" qui se servent du féminisme pour vendre. Cela me fait penser à ma lecture de "Miniaturiste" de Jessie Burton, où le contexte historique est plaqué sur une histoire assez peu travaillée.
    marilire

    marilire Le 09/10/2019

    Je ne me suis pas suffisamment méfiée... et puis, je vois ce livre poursuivre sa route, il semble plaire, répondre à une certaine attente de lectrices par son féminisme.
  • papillon

    17 papillon Le 16/10/2019

    Je viens de le finir (mon billet demain), et je te rejoins complètement : un livre sans grand intérêt. En revanche La salle de bal est vraiment très bon.
    marilire

    marilire Le 17/10/2019

    Je viens de lire ton billet, tu me rassures ;). Je me réjouis d'avoir encore à lire La salle de bal !
  • Sophie

    18 Sophie Le 16/01/2020

    Bonjour Maryline
    Comme toi j ai été déçue par « le bal des folles « en revanche « la salle de bal » est sublime bien loin de l’écriture plate et convenue de Victoria Mas, c’est très poétique,beaucoup plus subtil et bien mieux documenté en ce qui concerne la psychiatrie du début du siècle. La réflexion sur la folie y est bien plus réaliste et complexe et la dénonciation de l’eugenisme est aussi très intéressante.
    Lis le sans hésiter !
    marilire

    marilire Le 17/01/2020

    Bonjour Sophie, grand merci pour ce message. De Anna Hope, j'avais beaucoup aimé le premier roman traduit " Le chagrin des vivants ", sa finesse, sa pudeur aussi. L'as-tu lu ? J'ai finalement lu " La salle de bal " en décembre. Il n'y a en effet aucune comparaison possible. Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi ( j'avoue, j'ai du mal avec les romances très appuyées ) mais il est certain que le sujet est exploité. J'ai été très intéressée par le personnage du médecin, les prémices des théories d'eugénisme, et je suis bien d'accord sur le réalisme et la complexité des situations, notamment sociétales, qui ne sont pas occultées ( certaines scènes sont impressionnantes, je pense à celle du jeu de corde ).

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