Le Général dans son labyrinthe - G.Garcia Marquez

Le general dans son labyrinthe

- Livre de poche -

- Traduit de l'espagnol ( Colombie ) par Annie Morvan -

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C'est la lecture de la passionnante biographie d'Alexander von Humboldt - L'invention de la nature de Andrea Wulf ( Chronique ICI ) - qui m'a décidée à choisir ce titre plutôt qu'un autre pour relire Gabriel Garcia Marquez. Dans cette biographie, un chapitre est consacré à Simon Bolivar, du fait des voyages de Humboldt sur le continent sud-américain et de l'influence qu'il a exercée sur le général. Le général du titre, c'est donc lui, Simon Bolivar, El Libertador, à qui l'on doit le nom de Bolivie, président du Venezuela, combattant contre la colonisation espagnole, mort à 47 ans en 1830. 

Le titre de ce roman est inspiré d'une phrase attribuée à Simon Bolivar quelques jours avant son décès, il se serait exclamé : " Comment sortirai-je de ce labyrinthe ! " . Le récit se déroule en 1830, sa dernière année, lors d'un voyage sur le fleuve Magdalena. Il a quitté Bogota, il renonce au pouvoir, il prépare un départ pour l'Europe. Le départ, c'est une version officielle, nous ne savons pas si il y était véritablement décidé. Simon Bolivar est un homme usé par " vingt ans de guerres inutiles et de désillusion du pouvoir ", malade, un " mourant en déroute ", un moribond décharné et fiévreux qui " depuis qu'avaient commencé les guerres d'Indépendance, avait chevauché dix-huit mille lieues : plus de deux fois le tour du monde. ". L'Histoire ne lui appartient plus, elle se poursuit sans lui; cette Histoire devenue un labyrinthe.

Il ne s'agit pas d'une biographie romancée, plutôt d'une évocation, d'un portrait, de l'homme; un homme de chair, un général qui se souvient. Le récit n'est pas chronologique, c'est le flux des souvenirs au gré des étapes du voyage fluvial, la nostalgie malgré les décisions cruelles, les tentatives d'assassinat, " les nombreuses fables de salon qui le poursuivent ",  et l'amertume de la fin d'un rêve aux prises avec " le virus séparatiste ", avec les " querelles politiques et les haines personnelles ", les suspicions, les manipulations. Ce rêve, c'était " l'intégrité continentale ", une fédération des pays libérés du colonialisme pour " fonder la ligue des nations la plus vaste ", " un empire cinq fois plus vaste que l'Europe ".

- " Le rêve s'écroule le jour où il se réalise " -

Le début du récit m'a un peu égarée, par le foisonnement de noms de personnes et de lieux. Il m'a fallu consulter une carte, situer quelques généraux. Puis, peu à peu, au fil des pages, la narration est plus explicite, notamment quant aux militaires qui composent sa suite ou qui influent sur cet " adieu de fugitif ", quant aux personnalités fidèles de José Palacios - " son plus ancien serviteur " - et de Manuela Saenz, la femme qui traversa sa vie, jusqu'au bout, malgré tout, ce qui lui valu l'exil et l'abandon. 

" ... nul ne savait en toute certitude qui l'accompagnait par amitié, qui pour le protéger, qui pour être sûr que cette fois il partait pour de bon. [...] Le seul qui fût assez lucide pour savoir qu'en réalité il partait et où il partait fut le diplomate anglais qui envoya un rapport officiel à son gouvernement : Le temps qui lui reste lui suffira à peine pour atteindre sa tombe. "

Pour vous situer, quelques informations :  Indépendance du Venezuela 1811 - Colombie 1821 - Bolivie 1825. La capitale de la Bolivie ( capitale constitutionnelle et judiciaire alors que La Paz est la capitale administrative ) s'appelle Sucre, en l'honneur du maréchal Antonio José de Sucre, camarade d'armes, ayant combattu pour l'indépendance de la Bolivie, de la Colombie, du Pérou, de l'Equateur et du Vénezuela. Il est assassiné en 1830, certainement parce que reconnu comme le successeur de Simon Bolivar, ultime coup porté au Libertador, qui tentait de le convaincre de prendre sa suite. 

Le talent de Gabriel Garcia Marquez, c'est ce récit tout en atmosphère, mélancolique et pourtant réaliste par sa précision historique et politique, par les descriptions, ce flux au plus proche de l'homme en agonie, cependant invaincu, déployant toute sa volonté pour rester lucide et debout malgré les fièvres, les insomnies, la faiblesse physique.

En dernières pages, celles des remerciements ( l'aide reçue pour la " documentation tyrannique " ), Gabriel Garcia Marquez raconte la génèse de ce livre. Nous y apprenons que ce projet n'était pas le sien :

Pendant de nombreuses années j'ai écouté Alvaro Mutis me parler de son projet d'écrire le dernier voyage de Simon Bolivar sur le Magdalena. Lorsqu'il publia El ultimo rostro, fragment anticipé du livre, le récit me parut si mûr , son style et sa tonalité si dépouillés, que je m'attendis à le lire en entier sous peu. Toutefois, deux ans plus tard, j'eus le sentiment qu'il l'avait voué à l'oubli, comme cela nous arrive souvent à nous autres écrivains, même avec nos rêves les plus chers. Je me suis donc permis de lui demander l'autorisation de l'écrire. Au bout de dix ans d'attente, j'avais frappé juste. De sorte que c'est à lui que va d'abord toute ma reconnaissance. "

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Où l'on apprend que Simon Bolivar était un grand lecteur :

" Les étagères des diverses maisons où il avait vécu étaient toujours pleines à craquer tandis que les chambres et les corridors finissaient par être transformés en défilés de livres empilés les uns sur les autres, et en montagnes de documents errants qui proliféraient sur son passage et le poursuivaient sans miséricorde, cherchant la paix des archives. Il ne parvint jamais à les lire tous. Lorsqu'il changeait de ville il les abandonnait aux soins d'amis de grande confiance, même s'il n'entendait plus jamais parler d'eux, et sa vie de guerrier l'obligea à laisser derrière lui un sillon de plus de quatre cents lieues de livres et de papiers, depuis la Bolivie jusqu'au Venezuela. "

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- Participation au mois latino-américain -

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Commentaires

  • Ingannmic

    1 Ingannmic Le 21/02/2022

    Oh, passionnant, je note immédiatement. Je m'intéresse beaucoup à l'histoire de l'Amérique latine, mais je connais très mal cette période...

    Merci !
    marilire

    marilire Le 22/02/2022

    Nous connaissons mal l'histoire de l'Amérique du Sud, elle est complexe. Et étendue. Je connais mieux le sud du continent.
  • Kathel

    2 Kathel Le 21/02/2022

    à lire à tête reposée, donc... Je ne suis pas du tout calée en histoire de l'Amérique Latine.
    marilire

    marilire Le 22/02/2022

    La lecture n'est pas difficile, très fluide. Disons qu'elle nécessite de s'informer un peu sur le contexte.
  • A_girl_from_earth

    3 A_girl_from_earth Le 21/02/2022

    Je suis une des rares personnes à ne pas avoir trop accroché aux romans de Garcia Marquez mais peut-être que ce livre, pour son contexte historique, pourrait m'intéresser. Quoique quelques mauvais souvenirs me sont revenus quand j'ai lu " foisonnement de noms de personnes" au milieu desquels tu t'es égaré, haha !
    marilire

    marilire Le 22/02/2022

    Je crois qu'il vaut mieux que tu renonces à ce titre. La prose ne manque pas sur Simon Bolivar, sans passer par Garcia Marquez.

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