Le Llano en flammes - Juan Rulfo

Le llano en flammes

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- Traduit de l'espagnol ( Mexique ) par Gabriel Iaculli -

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Pour la thématique Sur un air latino du groupe Les classiques, c'est fantastique, me voici de retour au Mexique avec Juan Rulfo. De l'auteur, j'avais été impressionnée par son roman Pedro Paramo ( qui fut l'une des sources d'inspiration du magistral Cent ans de solitude de Garcia Marquez ).

Juan Rulfo ( 1917-1986 ) est un auteur particulier. Il n'a écrit que ces deux livres, le roman ( publication 1955 ) après ce recueil de nouvelles Le Llano en flammes ( publication 1953 ), très différent de Pedro Paramo ( une expérience littéraire mêlant les morts et les vivants ) par son contexte réaliste et profondément inscrit dans une terre et une époque.

Dans ces nouvelles, les personnages sont ceux de cette région, par leurs actes, leurs choix, leurs mentalités, leurs croyances. C'est un pays rude, ingrat.

Une goutte d'eau tombe, grande, grosse, qui fait un trou dans la terre et y laisse une trace qu'a tout l'air d'un crachat. Une seul goutte. Nous, on s'attend à ce qu'il en vienne encore, après. Mais il ne pleut pas. Maintenant, si l'on regarde le ciel, on voit le nuage de pluie filer très loin, drôlement vite. Le vent qui vient du côté du village l'empoigne et le lance contre les ombres bleues des montagnes. Et la terre avale la goutte d'eau tombée par erreur, avec une telle soif qu'elle n'en laisse rien.

Qui diable a fait cette plaine aussi grande ? Et à quoi sert-elle, je vous le demande ?

On s'est remis en marche. On s'est arrêtés pour regarder la pluie tomber. Il n'a pas plu. Maintenant, on se remet en marche. [...] N'empêche, je sais que depuis le temps où je n'étais qu'un gamin je n'ai jamais vu pleuvoir sur le Llano, ce qui s'appelle pleuvoir.

Non, le Llano ne sert à rien. Il n'y a ni lapins, ni oiseaux. Il n'y a rien. Sauf quelques arbustes rabougris et de rares touffes d'herbe aux feuilles recroquevillées; à part ça, rien."

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Les récits sont marqués par un épisode historique sanglant, une guerre civile qui se déroula dans les années 20 : un soulèvement paysan contre l'Etat qui imposa son contrôle sur le religieux, fermant des églises. La population de cette région de Llano se révolta, partie en " croisade ". Ce fut une révolution, on l'appela la révolution des cristeros ( 1925-1929 ). Elle suivait de grandes réformes, l'expropriation des grands propriétaires terriens, la fin d'un système féodal. Cette révolte fut d'une extrême violence, des combats de guerilla, des assassinats, répression et représailles. Juan Rulfo était enfant durant cette guerre, il assista aux horreurs, il perdit son père.

Les dix-sept nouvelles de ce recueil nous racontent ce monde rural, la misère, l'honneur, la famille, cette guerre religieuse, la répartition des terres; des textes brefs, puissants. Juan Rulfo donne la parole à ses personnages, un moment, monologue ou dialogue. Les récits sont brutaux, souvent cruels, douloureux, sur cette écriture concrète, sobre, éloquente. Les hommes et les femmes dont l'auteur semble transcrire la voix sont le coeur de ces textes. Tout se dit en peu de mots, ceux de l'oralité, qui peu à peu prennent toute leur ampleur, par la description des situations.

Tout l'art de la nouvelle.

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" Jamais je n'avais senti comme à ce moment-là, en avançant dans cet attroupement, que la vie pouvait être aussi lente et violente; nous n'étions qu'un noeud de chenilles grouillant sous le soleil, qui se tordaient dans la chape de poussière qui nous parquait tous sur le même chemin et nous menait comme du bétail. Nos regards suivaient les nuages de poussière, s'y arrêtaient comme s'ils butaient sur un obstacle infranchissable. Le ciel toujours plombé, au-dessus de nous, était une sorte de tâche grise et lourde qui nous écrasait. C'était seulement quand nous traversions une rivière à gué que la poussière était plus haute et plus claire. Nous trempions nos têtes échauffées et noircies dans l'eau verte, et, pendant un moment, une fumée bleue sortait de nous comme la vapeur s'échappe de la bouche quand il fait froid. "

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- Le billet de Kathel -

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Commentaires

  • Fanny

    1 Fanny Le 03/09/2022

    Je ne connaissais pas du tout cet auteur. Les thèmes me paraissent assez sombres...
    marilire

    marilire Le 04/09/2022

    Pour le découvrir, je recommande plutôt le roman, inoubliable.
  • maggie

    2 maggie Le 03/09/2022

    Merci pour cette présentation ! Justement, je vais continuer à lire des auteurs mexicains (même si le road trip de Rachel et A girl est terminé...)
    marilire

    marilire Le 04/09/2022

    Alors Juan Rulfo est incontournable :)
  • Kathel

    3 Kathel Le 03/09/2022

    Ce recueil m'a laissé une forte impression, je conçois parfaitement qu'il soit devenu un classique. Quand on aime la concision et la sobriété, on est servi, même si parfois les thèmes sont durs.
    marilire

    marilire Le 04/09/2022

    C'est certain, c'est très différent de Pedro Paramo.
  • A_girl_from_earth

    4 A_girl_from_earth Le 03/09/2022

    C'était un des livres que j'aurais aimé caser lors du book trip mais il n'est pas trop tard. Je ne suis pas très nouvelles mais je pense que ce recueil pourrait bien me plaire.
    marilire

    marilire Le 04/09/2022

    Il faut tenter, parce que les nouvelles sont très inscrites dans la terre mexicaine, son histoire.
  • L'ourse bibliophile

    5 L'ourse bibliophile Le 07/09/2022

    Jusque-là, c'est peut-être le livre qui m'attire le plus, même si je ne suis habituellement pas friande de nouvelles. Merci pour cette découverte.
    marilire

    marilire Le 08/09/2022

    L'avantage des nouvelles, ce sont leur format, adaptée à la découverte. Ce recueil est très réaliste. Je te conseillerai plutôt le roman Pedro Paramo, incroyable, avec son réalisme magique.
  • Moka

    6 Moka Le 10/09/2022

    Je découvre ce titre grâce à toi et l'idée du lien avec Marquez fait que je le garde dans un coin de mon esprit. Merci pour ta participation.

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