
- Paulsen - 2022 -
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Le norvégien Fridtjof Nansen a été le premier Haut Commissaire pour les réfugiés de la Société des Nations constituée après la Première Guerre Mondiale. Il est l'initiateur d'un document d'identité permettant aux apatrides de se déplacer hors de leurs pays d'origine, les frontières et régimes politiques ayant été bouleversés suite au conflit, en entraînant d'autres pour les populations. Ce document a été appelé le Passeport Nansen. Il a permis à des Russes déchus de nationalités par l'Union Soviétique d'avoir une existence légale ainsi qu'aux Arméniens ensuite, puis aux Chrétiens fuyant l'Empire Ottoman. Ce passeport a été reconnu par 38 états. Il a été créé en 1922. Cette même année, Fridtjof Nansen a reçu le Prix Nobel de la Paix. En 1939, ce sont 450 000 passeports Nansen qui avaient été délivrés. En ont bénéficié Marc Chagall, Sergueï Rachmaninov, Igor Stravinsky, Vladimir Nabokov, Robert Capa... Le passeport Nansen n'existe plus depuis 1946, année de dissolution de la SDN.
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J'ai découvert l'existence de ce passeport il y a quelques années. Aussi, lorsque j'ai vu dans le catalogue de parutions des éditions Paulsen ce récit biographique d'Alexis Jenni, je m'en suis réjouie, étonnée tout de même de l'éditeur. En lisant, j'ai crû comprendre pourquoi cette biographie a été publiée par un éditeur spécialisé dans les récits de voyage.
Fridtjof Nansen ( 1861-1930 ) est un champion, un explorateur polaire, un héros national. L'auteur le compare à un Viking, exigeant, sûr de lui, ne souriant jamais sur les photographies ( celle de couverture date de 1897 ). Il est un scientifique, il écrit, il dessine, " austère et obstiné ". Il vit au grand air, pratique le ski à haut niveau ( il est à l'origine de l'engouement et du développement de la pratique sportive ), rédige des articles de ses voyages en ski, il étudie les sciences naturelles, effectue des recherches de neurobiologie, devient conservateur d'un département universitaire de zoologie. C'est lors d'un voyage d'études dans le Groenland inexploré en 1888 qu'il est rattrapé par l'appel du Grand Nord. Il prépare alors une expédition pour traverser le Groenland, la première traversée. Puis il part pour une seconde expédition ( 1893-1896 ) en direction du Pole Nord, détenant alors le record d'approche. Il renouvelle les expéditions polaires par ses innovations techniques ( quant aux choix des modes de transports, de vêtements pour survivre à de telles températures ). A son retour en Norvège, il reprend ses études de neurobiologie, spécialisé en océanographie, ayant participé au développement de la neuroscience ( notamment aux théories sur les neurones ).
Le récit n'est pas hagiographique. Alexis Jenni ne néglige pas " la part sombre " de l'homme, c'est-à-dire sa dureté, sa radicalité, son extrême volonté, ses doutes, sa solitude. Son récit est appuyé sur les récits de voyage de Nansen ( ils sont disponibles en français ), ses articles, son journal, sa correspondance. L'auteur développe bien le contexte de la Norvège de la fin du XIXème, dépendante de la Suède, ses aspirations à l'indépendance, et ce qu'a représenté Nansen pour son pays.
" Les Nansen recevaient artistes et intellectuels. Dans ce cercle, on puisait dans les racines nordiques, on developpait la conscience nationale, et la belle apparence de viking de Nansen y jouait son rôle. Quand le dessinateur Erik Werenskiold réalisa une édition illustrée des anciennes sagas, il prit Nansen comme modèle des héros nordiques, il y était très reconnaissable. Nansen était partout, il était le totem de cette petite nation en ébullition nationaliste. "
Lorsque la Norvège accède à l'indépendance, il devient le représentant de son pays, un rôle d'ambassadeur à Londres, entre 1906 et 1908. Commence sa carrière dans la diplomatie - émaillée d'écriture et de conférences - qui l'amène à la Société des Nations après la Première Guerre Mondiale, s'y consacrant à l'action humanitaire apolitique, alors qu'il est un homme vieilli, fatigué et mélancolique.
" Il s'intéressa à la guerre, spectateur effaré de ce déchaînement où la Norvège ne prit aucune part. Devant l'épreuve collective, il changea. Il publia un article où il affirmait que c'était le devoir des pays neutres de maintenir la continuité d'un monde moral, de le sauver du naufrage où l'entraînait cette déflagration imprévue, dont personne n'avait correctement estimé la puissance de dévastation. Il était loin le temps des viriles affirmations de darwinisme social, le temps où il appelait à une éducation spartiate, stricte et sans concession pour bâtir des hommes forts. Ses idées abstraites se brisaient sur ce que l'on découvrait de la guerre comme abattoir aveugle, où toutes les valeurs de rectitude et de force de caractère ne valaient plus rien sous les " orages d'acier ". "
J'ai regretté que l'auteur développe moins cette dernière partie sur l'action de la Société des Nations pour les réfugiés ( où j'ai retrouvé le texte d'Hannah Arendt Nous les réfugiés lu il y a peu ) liée aux bouleversements territoriaux, alors qu'il s'attarde sur les préparatifs techniques des expéditions polaires, les épreuves, le parcours, les découvertes.
L'Office international Nansen pour les réfugiés ( dépendant de la SDN ) a été fondé en 1930. Protégeant les populations fuyant des zones de guerre, il fut actif jusqu'en 1939. En 1938, l'Office reçut à son tour le Prix Nobel de la Paix.
En 1954, l'ONU crée la Médaille Nansen - Nansen Refugee Award -, un prix ( avec apport financier depuis 1979 ) récompensant une association ou une personne ayant agi en soutien aux populations déplacées.

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- Pour en savoir plus, un bel article ICI ( Bibliothèque du Comité International de la Croix Rouge ) -
- Catégorie éditions Pausen/biographie/expédition polaire, j'avais beaucoup aimé A perte de vue la mer gelée de François Garde -
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Commentaires
1 Sandrine Le 03/04/2023
marilire Le 03/04/2023
2 nathalie Le 03/04/2023
marilire Le 03/04/2023
3 Ingannmic Le 03/04/2023
marilire Le 03/04/2023
4 keisha Le 03/04/2023
Je connaissais ce passeport, mais j'ignorais que ça dépendait de la SDN, et donc qu'il n'existait plus (pourtant il pourrait être utile, mais on doit avoir un équivalent?)(ou alors l'OFPRA,L'OFII? en France)
marilire Le 03/04/2023
5 Dominique Le 03/04/2023
marilire Le 03/04/2023
6 Kathel Le 03/04/2023
marilire Le 03/04/2023
7 Autist Reading Le 04/04/2023
J'avais vaguement entendu parler du fameux passeport sans trop savoir de quoi il retournait exactement, et encore moins qu'on le devait à un explorateur de cette trempe.
Ce récit d'Alexis Jenni m'intéresse au plus haut point (les récits de Nansen également) ; d'autant plus que je devrais embarquer dans quelques mois sur un petit bateau pour une courte expédition (autrement moins périlleuse que les siennes) au Svalbard.
marilire Le 05/04/2023
8 A_girl_from_earth Le 04/04/2023
de la Société des Nations pour les réfugiés, c'est ce que j'en aurais attendu aussi. En passant, je te parlais chez moi de la LC Le dernier des siens qu'on avait évoqué pour avril. Si tu es toujours partante mais que tu préfères qu'on reporte, pas de souci.:) À vue de nez, si pas ce mois-ci, je dirais plutôt en juin ?
marilire Le 05/04/2023
9 Aifelle Le 05/04/2023
10 Tania Le 19/04/2023
11 Anne Le 24/04/2023