Le plus et le moins - Erri De Luca

Plus moins de luca

- Gallimard - 2016 -

- Traduit de l'italien par Danièle Valin -

"Les livres ont un sort meilleur que celui qui les écrit. Ils sont serrés dans les bras, emportés en voyage, sur une île du Sud ou dans une tente en montagne, fixés avec intensité par deux yeux qui feraient aussitôt baisser les miens." 

.

Dans ce recueil composé d’une trentaine de texte autobiographiques, Erri de Luca raconte et dit : en souvenirs, il relate des expériences, des rencontres, leur donne sens.

Déjà, ce titre, interpellant, signifiant, m’amène à la réflexion.

L’auteur napolitain selon mon coeur signe sur ces pages des textes forts, constitutifs, engagés, émouvants.

« J’avais appris avec certitude ce jour-là que l’écriture était un champ ouvert, une issue. Elle pouvait me faire courir là où il n’y avait pas un mètre pour les pieds, elle me propulsait au large, alors que j’étais aplati sur une feuille. C’est ainsi que je me suis mis à écrire, à partir de ce jour-là, pour forcer les verrouillages qui m’entouraient.»

A la façon de chroniques, de nouvelles, ces textes brefs abordent, en dévoilant l’histoire familiale et l’itinéraire personnel, des thèmes sociétaux, une histoire de l’Italie, de l’Europe.

Erri de Luca est né en 1950. Ses souvenirs sont autant de témoignages d’une génération européenne.

Sa plume, aussi sobre que perspicace sans nous priver de sensations ou d’émotions, nous raconte la révolte de la jeunesse en 1968 - « Une génération s’était convoquée toute seule, d’un bout à l’autre de la planète » -, la gauche révolutionnaire, les colères, « les années de plomb », ainsi que Naples pendant-après guerre; Naples, son volcan et la mer. L’auteur partage avec nous des souvenirs d’enfance ensoleillés, des baisers, des amours, ainsi que quelques madeleines, revenant sur la relation à ses parents, la vieillesse de sa mère, le père et ses livres.

« Telle est l’amorce de ma vocation, une pièce en papier, un père qui la meuble et qui la feuillette. Les livres ne redoublent pas l’épaisseur des murs, ils l’annulent au contraire. A travers les pages, on voit dehors [...] L’enceinte des livres, petite comme le panier d’une montgolfière, ouvrait sur tout. Ainsi me suis-je mis à fourrer la vie dans le détroit des mots. »

Un texte est consacré au plaisir gustatif suscité par le ragù ( une évocation qui toucha mes papilles et ma nostalgie, cette sauce ayant été l’une des  premières spécialités de Naples que j’ai goûté, une première soirée napolitaine ) et aux aubergines à la parmesane, qui m’a renvoyée à un autre plat d’aubergines dont la saveur ne s’efface pas, ne se remplace pas.

« Sans ma mère, je m’abstiens désormais d’en manger, un exil alimentaire. Le deuil se vit plus à table qu’au cimetière.»

Il raconte les années 80 italiennes entre mafia, corruptions et assassinats;

« La pègre se partageait dans le sang chaque centimètre de trottoir, les milliards pleuvaient sur la ville sans parvenir à toucher terre, tous interceptés en plein ciel.»

ainsi que ses années de vie d’ouvrier avec « ceux qui vendent leur force de travail », l’exil en France, ses expériences d’émigré, déjà dans le Nord de l’Italie.

« Celui qui vient du Sud et du vingtième siècle a connu avec précision le sens du mot Etranger.»

Et puis, au fil des textes, c’est autant Erri de Luca auteur que lecteur.

Bien plus qu’une autobiographie, ce recueil est un regard de l’intérieur vers l’extérieur. Erri de Luca nous parle de notre monde, des valeurs auxquelles il croit.

« Dans ma vie, je me suis battu pour une égalité, pour une liberté, mais la fraternité ne peut se conquérir. »

En lisant, j’ai pensé à Luis Sepulveda, à son recueil Les roses d’Atacama qui m’a tant émue.

Une fraternité de génération et d’écriture.

 

.

- Lecture d'Erri de Luca partagée avec Anne -

- Erri De Luca sur ce blog : la liste des titres chroniqués ICI -

*

Commentaires

  • Anne

    1 Anne Le 27/05/2022

    Ooooh tu me donnes très envie de me précipiter en librairie pour découvrir ce titre ! Je suis sensible au "deuil à table", je crois que ça me touchera aussi, j'y ai déjà pensé. Mais tout paraît intéressant dans cet ouvrage. Nous avons fait non seulement auteur commun mais aussi deux non fictions ;-)
    marilire

    marilire Le 28/05/2022

    J'ai beaucoup apprécié Noyau d'olive, alors Un nuage comme tapis sera ma prochaine lecture de De Luca. Je n'ai pas pu résister à ce titre Le plus et le moins, tout est dit dans ce recueil de l'homme et de l'auteur, de son parcours. On y retrouve tous ses grands thèmes. Alors, oui, tu peux courir à la librairie ( et tu sauras tout sur ce prénom Erri ;))
  • keisha

    2 keisha Le 27/05/2022

    Jamais lu l'auteur, peut être ce texte me plairait, ou alors celui présenté par Anne.
    marilire

    marilire Le 28/05/2022

    L'avantage de ce texte, c'est qu'il peut-être une introduction à la pensée de De Luca.
  • Dominique

    3 Dominique Le 28/05/2022

    ce que je préfère chez l'auteur ce sont ses textes sur la bible et son roman la nature exposée
    marilire

    marilire Le 30/05/2022

    Je découvre peu à peu ces textes sur la Bible ( je n'ai lu que Noyau d'Olive qui m'a convaincue de poursuivre ).
  • Ingannmic

    4 Ingannmic Le 28/05/2022

    Le rapprochement avec "Les roses d'Atacama" m'interpelle, j'ai moi aussi beaucoup aimé ce recueil... de cet auteur, j'ai beaucoup aimé "Trois chevaux", lu il y a bien des années, mais j'ai en revanche été très déçue par "Impossible", découvert plus récemment.. je vois qu'il s'agit là d'autre chose que d'un roman, et que cela pourrait bien me plaire..
    marilire

    marilire Le 30/05/2022

    Trois chevaux reste l'un de mes favoris, c'est celui que j'offre pour une première lecture de Erri de Luca.
  • Jourdan

    5 Jourdan Le 28/05/2022

    Quel auteur ! Je n’ai pas lu Le plus et le moins.Je le note.”La nature exposée”,”le poids du papillon,” ”Tu,mio” magnifique..
    Pas étonnant s’il rappelle Les roses d”Atacama, Luis Sepulveda et Erri De Luca avaient traversé les mêmes tempêtes certainement et défendaient les mêmes causes,ce qui rapproche inévitablement.
    marilire

    marilire Le 30/05/2022

    Je vous rejoins pour les correspondance entre Erri de Luca et Luis Sepulveda. J'ai réalisé qu'il n'était pas étonnant que ce soit deux auteurs qui me sont précieux. Aucune lecture d'Erri de Luca comme de Luis Sepulveda ne m'a déçue. Au contraire, elles restent marquantes et " nourrissantes ".
  • Aifelle

    6 Aifelle Le 28/05/2022

    J'ai noté le titre lu par Anne, je peux ajouter celui-ci, qui permet sans doute de mieux connaître l'auteur.
    marilire

    marilire Le 30/05/2022

    Effectivement, celui-ci permet d'approcher l'auteur, son histoire, ses thèmes, ses engagements.
  • Kathel

    7 Kathel Le 29/05/2022

    Il faut, je me le répète et me persuade, que je lise de nouveau cet auteur ! ;-)
    marilire

    marilire Le 30/05/2022

    Tu as le choix des titres ! ( si tu savais le nombre d'auteur dont je me répète les noms ^^ )
  • A_girl_from_earth

    8 A_girl_from_earth Le 30/05/2022

    Décidément, Anne et toi me donnez envie de revenir vers cet auteur que j'avais relégué au rang des auteurs à ne plus retenter suite à une expérience lointaine (Montedidio) qui ne m'avait vraiment pas passionnée.
    marilire

    marilire Le 31/05/2022

    Ah, dommage. Ce serait bien que tu retentes, peut-être avec Trois chevaux, ou Le tord du soldats ( ou Le jour avant le bonheur qui se déroule à Naples ).

Ajouter un commentaire