
- Agullo - 2021 -
- Traduit du tchèque par Barbora Faure -
"Berta croyait au pouvoir rédempteur de l'art. A travers l'art, elle cherchait ce que vous cherchez en Dieu. La vérité."
Dans l'Europe des années vingt et trente, déchirée par la guerre et la révolution, la jeune Berta Altmann cherche sa voie en tant qu'artiste et femme indépendante. Sa quête de liberté la conduira de Vienne à l'école du Bauhaus, de Weimar à Berlin et jusqu'à Prague. La rencontre et la confrontation intellectuelle avec les artistes célèbres de son temps la poussent à s'engager dans des combats esthétiques et idéologiques à une époque où ceux-ci représentent des choix à la vie à la mort.
C'est à travers l'objectif d'une équipe de tournage israélienne du xxie siècle que nous découvrons le destin extraordinaire de cette femme, inspiré de l'histoire réelle de Friedl Dicker-Brandeis, qui enseigna l'art aux enfants dans le camp de transit de Terezín et fut assassinée à Auschwitz. Sans le savoir, les documentaristes, aidés par la petite-fille d'une de ces enfants, libéreront la force obsédante de secrets longtemps enfouis.
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Autant l'annoncer dès le début, ma lecture s'est partagée entre énervement et ennui. Voilà.
Pourtant, elle débutait plutôt bien, cette lecture, avec ce personnage, Kristyna, peintre aquarelliste pragoise de 88 ans, qui a subi la guerre et le régime soviétique, pour qui Berta-Friedl a été " inspiratrice pour la vie ", pour qui Chagall " avait été comme une révélation ", pour qui Paul Klee avait été " son autre grand amour ". Parce que tout pareil, la peinture de Chagall a été une révélation, Paul Klee est un autre grand amour, j'écris cette chronique dans mon bureau, la reproduction d'une de ses toiles trône près de moi, vous savez tout. Voilà bis.
Mais ces considérations affectivo-autobiographiques sont dérisoires, elles ne suffisent absolument pas. Quoique. L'affectif intervient tout de même, ce livre m'a paru injuste.
J'avais choisi ce roman pour le contexte culturel et historique, pour Friedl Dicker, qui se nomme donc Berta Altmann sur ces pages. Mauvaise pioche pour les deux aspects. Peut-être n'aurais-je pas dû m'intéresser tant à Friedl Dicker pour apprécier ce roman, mais je crois que cela n'aurait rien changé, cela m'aurait épargné l'énervement, pas l'ennui.
Ce qui m'a exaspérée dans ce roman, ce sont le parti pris narratif et l'image donnée de Berta-Friedl : il est dit clairement que ce livre s'inspire de sa vie, de son parcours, inscrit dans l'époque - le Bauhaus, le nazisme -, le livre lui est dédicacé, sa photographie est en couverture, la description de ses toiles est précise, en dernière page une note de l'autrice remercie Elena Makarova " pour avoir donné l'impulsion initiale à ce texte ". Elena Makarova est l'historienne d'art responsable de l'exposition itinérante ( Prague, Vienne, Paris... ) consacrée à Friedl Dicker. C'est la lecture du catalogue de l'exposition qu'elle a conçu qui m'a permis de vous présenter Friedl. Tout cela nous dit la volonté d'hommage de Magdaléna Platzova. Alors pourquoi ne s'intéresser dans ce roman qu'à sa vie intime ?? Ce ne sont qu'histoires de famille - les relations à papa et aux hommes, les premières amours -, des scènes de sexe qui m'ont semblé complaisantes ( à peu près pour tous les personnages ) ( Réalisme ? ) ( Parce que le passage avec le premier amant inexpérimenté sur les dernières pages... - ? - ) ( scène comme une réponse à une question qu'on ne se posait pas ) ( ah, ravie de savoir qu'elle a pris l'initiative et qu'elle l'a guidé ) ( Bon.), et du pseudo féminisme : notre malheureuse Berta-Freidl passe sa trop courte vie dans des affres psychologiques liés à son art, elle ne s'autorise pas à peindre comme elle le souhaite parce que son manque d'amour, dès l'enfance, la contraint à s'adapter au désir de chacun et à répéter des conduites d'échec. Cela relève du psy, nous sommes d'accord, d'ailleurs quelques pages lui sont consacrées, aux explications du psy. Berta-Friedl la victime.
D'accord pour la liberté du romancier, son privilège; d'accord il n'est pas dit que ce roman est une biographie romancée, seulement qu'il est " inspiré de la vie de Friedl Dicker-Brandeis ", il n'y avait que ça à écrire sur l'artiste, la créatrice, la militante, la pédagogue ?? Quid de toutes ses expérimentations artistiques - reliure, lithographie, création textile, photomontage, design, costumes et décors de théâtre ? Quid de son engagement politique ? Quid de son approche pédagogique de la pratique artistique, de ses recherches, de son dévouement envers les enfants, bien avant Terezin ? Quid de sa fidélité, de sa force d'âme ? Ces sujets sont effleurés, signalés ai-je envie d'écrire, pour ne s'attarder que sur la maternité frustrée. L'image me paraît fausse : Friedl Dicker ne se serait réalisée qu'à Terezin ?!
Plus qu'une déception, une colère. Friedl Dicker mérite mieux, ce livre est un tombeau. Je l'espérais présente, vivante ! Je ne crois pas que je me serai tournée vers elle si je n'avais lu que ce roman. Elle n'est qu'un personnage estompé et névrosé, prétexte à la culpabilité de cette Kristyna dépositaire de " menus cahiers, les journaux de Berta ", la tension et le suspense du roman sont là, si ( ah non, il y a aussi ce qu'annonce le titre ). Alors, cet épilogue, romanesque au possible, ce n'est que ça - pas de doute, Friedl est bien morte -, il ne s'agit que des confidences - confession au premier sens du terme - de la vieille dame. Oh, je ne vous dévoilerai pas ce secret familial digne d'une sitcom, et la résolution que la découverte entraîne, tout bien, pour les autres personnages.
J'ai lu ce livre facilement ( en soi, le style n'a rien de remarquable. Il joue de la chronologie et insère des " extraits " en italique du journal de Berta-Friedl ) et rapidement. Heureusement ( ce qui ne m'a pas empêchée de déverser ma bile pendant une heure lorsque j'ai refermé ce roman ). Toutefois, il faut en maîtriser le contexte puisque rien n'est dit explicitement du Bauhaus. Or, les pages s'attardent longuement sur la formation - " l'école nouvelle " , sur les reflexions sur l'art, son rôle dans la société, sa définition, ses représentations. Il y a, pour qui s'intéresse à ces sujets, des passages intéressants, qui doivent paraître obscurs à qui ne se passionne pas pour les théories artistiques. L'autrice appuie sur la dimension spirituelle, à la limite de la caricature, un véritable repoussoir. Là, ces passages-personnages-théories peuvent paraître complètement abscons.
C'est vraiment dommage parce que j'avais été accrochée par le début de ce roman, il dit beaucoup de choses, sur la mémoire, sur " l'émotionnel mémoriel ", en racontant cette équipe de tournage qui met en scène les séquences, les jeux de prise de vue, les témoignages. J'y ai retrouvé le malaise lors de la visite à Terezin, ville contemporaine, cette impression de " décalage ", lu dans Une île, une forteresse d'Hélène Gaudy. Ce roman nous parle également de la jeunesse contemporaine, de ce qui n'est pas transmis à travers le personnage de Milena, la petite-fille de Kristyna.
Il faut qu'on parle de ce Aaron, celui qui a les honneurs du titre. Il est le cameraman. Et bien, ce monsieur, c'est le dilemme a-mou-reux, au point que ça lui coupe les effets ( tiens, il est question de parler au docteur là aussi ), si bis, voilà ter.
Finalement, ce roman se veut une histoire de femme(s), des choix des femmes, entre la grande oeuvre et la famille. Peut-être l'autrice a voulu aborder trop de thèmes autour de la figure de Friedl Dicker.
Raté. Pas d'extrait, je suis fâchée, 4eme voilà.
( alors que, vraiment, la dernière page est tellement Harlequin - collection Passion Intense - que ça me chatouille sérieux - ce coeur qui " bat dans la prison des ses côtes ", soleil, travelling sur la chevelure féminine décoiffée, cet " être palpitant, humide, tiède " - envoyez les violons et le fondu-flou - flou artistique, évidemment.)
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Bien que la version en français soit de 2021, ce roman date de 2006. Depuis 2012, l'autrice, Magdaléna Platzova vit à Lyon ( comme cela se voit sur la photographie ). Je regrette qu'il n'y ait pas eu de rencontre en librairie lyonnaise ( du moins, je n'en ai vu aucune ) lors de la parution du livre en français aux éditions Agullo, il aurait été très intéressant de l'écouter sur ses choix - de femme - romancière - pour ce roman.

- photographie de Jiri Zavadil -
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Commentaires
1 A_girl_from_earth Le 08/02/2022
marilire Le 09/02/2022
2 Aifelle Le 09/02/2022
marilire Le 09/02/2022
3 Kathel Le 09/02/2022
marilire Le 09/02/2022
4 Cléanthe Le 09/02/2022
marilire Le 09/02/2022
5 Dominique Le 09/02/2022
j'avais un peu des remords mais je refuse aujourd'hui de poursuivre une lecture qui ne me plait pas et j'élimine sans hésitation c'est ce que j'ai fait
heureuse de voir que je suis en bonne compagnie
marilire Le 09/02/2022
6 Passage à l'Est! Le 10/02/2022
Gratitude que tu aies bien voulu nous dire franchement ce que tu en as pensé, et sourire de te lire si (inhabituellement?) agacée par un livre.
Ce que tu en dis me fait beaucoup penser à ma lecture de Dora Maar et le Minotaure, de Slavenka Drakulic, avec ce flou entre personnage réel et personnage réinterprété par l'auteure, et l'accent mis sur les affres psychologiques plutôt que sur la vie créatrice de Dora Maar. Heureusement pour moi, ces défauts n'étaient pas aussi accentués que dans ce livre tel que tu le présentes.
Ce serait intéressant, en effet, d'entendre l'auteure parler de ces choix pour ce roman!
(P.s. c'est la deuxième fois que j'essaie de poster un commentaire et que je dois passer par de multiples cases à cocher - taxis, passages piétons etc)
marilire Le 11/02/2022