Paris Fantasme - Lydia Flem

Paris fantasme- Seuil - 2021 -

Fascinée par une ruelle, née il y a cinq cents ans entre la place Saint-Sulpice et le jardin du Luxembourg, j'ai cherché à découvrir celles et ceux qui y ont vécu de siècle en siècle, de numéro en numéro, d'étage en étage, depuis 1518. La rue Férou est devenue le lieu d'une question existentielle : qu'est-ce qui donne le sentiment d'être chez soi quelque part ? D'habiter tout à la fois son corps, sa maison et le monde ?

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De Lydia Flem, j'ai lu il y a longtemps, dans une autre vie, Panique. De l'auteure, psychanalyste, photographe, j'avais été impressionnée par la perspicacité de la plume. Alors un titre pareil... ( Quoique. Il n'y a pas de S pluriel à Fantasme ).

Dans ce livre, inclassable, entre historique et autobiographie, Lydia Flem raconte la rue Férou, une toute petite rue parisienne inscrite dans les archives dès le XVIème siècle, la ruelle qui relie le Jardin du Luxembourg à la place Saint-Sulpice, la place du Marché de la Poésie notamment; cette ruelle que je (re)connais, ce parcours que j'aime, cette rue célèbre pour sa " poésie murale " ( depuis 2012 ) : les vers du Bateau Ivre de Rimbaud sur l'un de ses murs aveugles. Cette poésie murale prise en photographie noir&blanc, je l'avais choisie en bannière, elle apparaît encore parmi celles qui défilent au-dessus de cet article.

De chapitres en chapitres, en suivant les numéros et non en suivant la chronologie, c'est l'histoire de la rue Férou, de ses habitants, illustres, anonymes ou fictifs. C'est une histoire de Paris, une histoire de France aussi, une histoire artistique et littéraire par ses hôtes illustres, tels Man Ray, Mme de Lafayette ( qui écrivit La princesse de Clèves en son hôtel particulier de la rue Férou ), Prévert en enfance ou le mousquetaire Athos. On croise Voltaire, Chateaubriand, Proust, la revue Les temps modernes de J.P.Sartre et S.de Beauvoir, G.Pérec.

La rue Férou, c'est également l'aventure éditoriale de la librairie slave L'âge d'homme et celle de la librairie Belin ( née en 1777, déménagée en 2017 ).

Une toute petite rue pour une multiplicité de personnes - comédiennes, religieux, un chimiste guillotiné et un fasciste -, d'époques, de situations, de sujets :

Une rue, dix maisons, cent romans. "

" Paris Fantasme " est parsemé de lettres qu'adresse l'auteure à de célèbres habitants, de documents d'archives, de dates, de recettes, d'extraits littéraires ou de journaux intimes fictifs lorsque Lydia Flem emploie le JE pour l'un des habitants de la rue Férou.

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800px rue ferou paris

- De la place St-Sulpice vers le Jardin du Luxembourg -

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Sur les premières pages, Lydia Flem nous dévoile un formidable " jeu du portrait chinois " autour de cette ruelle qui rend plus que curieux. 

" Si cette rue de Paris était...

- Un chant révolutionnaire, L'internationale

- Un Prix Nobel de littérature, Ernest Hemingway

- Une visite royale au XVIIème siècle, celle d'Anne d'Autriche

- Un très jeune séminariste amoureux, Claude-Maurice de Talleyrand,

- Une écrivaine scandaleuse, la Colette de Chéri et du Blé en herbe

... "

En fin d'ouvrage, l'auteure consacre de belles pages au photographe parisien Eugène Atget ( 1857-1927 ) qui se consacra à fixer en image son Paris de la fin XIXème-début XXème, les métiers, l'architecture... un véritable travail documentaire de mémoire ( conservé au musée Carnavalet, dans le Marais, le musée d'Histoire de la ville de Paris.  Ce musée nous accueillera à nouveau bientôt, ses quatre années de restauration viennent de prendre fin. " Revoir Paris " est le titre prémonitoire de la prochaine exposition, avec des photographies de Henri Cartier Bresson ).

Ferou atget- Eugène Atget - 1898 - vue sur Saint-Sulpice de la rue Férou -

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Pour écrire " la généalogie " de cette rue, Lydia Flem a fourni un immense travail de recherche, des recherches obsessionnelles. Pour aller plus loin ( au bout ?) de sa quête, l'auteure ira jusqu'à s'installer quelques temps rue Férou.

Cette obsession a plusieurs motifs auxquels j'ai été particulièrement sensible; motifs qui ont également motivés cette lecture qui fut doublement émotionnelle : Paris et " Un lieu à soi ", en variations, en réflexionsun lieu reconnu.

" La rue Férou, ma rue Férou, serait-elle un chemin proustien ? Une rue du Lieu retrouvé ? "

En chapitres intercalés, Lydia Flem interroge la notion de " chez soi ". Une introduction " Sur le seuil " explicite la génèse et le propos de cet ouvrage. Ce livre est un livre de mémoire. L'auteure revient sur sa famille, exilée " après la mort venue d'Allemagne ", sa propre enfance, sur ce Paris fantasmé, celui de la jeunesse de sa mère avant la Deuxième Guerre Mondiale.

" Ma rue Férou est le lieu d'une autobiographie au pluriel. Hantée par le cortège de celles et ceux dont il ne reste plus d'autre trace pour dire leur passage sur cette terre que des listes de noms. "

Elle nous parle de transmission, consciente ou inconsciente, tentant de (re)définir ce qu'est le foyer, ce qu'il représente, son inscription géographique ou non : " Un lieu où l'intimité et l'altérité s'entrelacent ", reliant le corps, les sentiments et l'imaginaire.

" La véritable beauté d'un lieu naît de la richesse des expériences de tous les sens qui peuvent s'y déployer. Noces de soi et des lieux. "

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" Dans le mot livre, il y a ivresse; c'est l'alcool que je préfère. Pour me sentir chez moi, à la maison, il me faut un ami-amant avec qui parler dans une conversation ininterrompue, des livres, un chat, un bout de jardin avec des fleurs, des plantes, des oiseaux, les indispensables thé et chocolat et ... des livres."

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Manray lithographie small- La rue Férou par Man Ray ( lithographie ) -

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Lydia Flem est membre de l'Académie royale de Belgique. Son site ICI -

- Participation parisienne au mois belge organisé par Anne ;-) -

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Commentaires

  • Anne

    1 Anne Le 16/04/2021

    Rhoooo j'avais entendu parler de ce livre sur Le Carnet et les instants et je l'ai vu en vitrine de chez Tropismes mercredi mais je me suis retenue (parce que la police des sacs n'était pas loin) ;-) Maintenant je le veux ! Je présente la semaine prochaine Lettres d'amour en héritage, où elle parle beaucoup de sa mère aussi, on aurait pu faire une LC auteure ;-) Je l'apprécie vraiment beaucoup, Lydia Flem !
    marilire

    marilire Le 16/04/2021

    Découvert et choisi par la présentation sur Le carnet et les instants, impossible de résister ! L'année prochaine la LC auteur :-)
  • Mina

    2 Mina Le 16/04/2021

    J'ignorais l'existence de ce livre et n'y avais pas prêté attention dans la vitrine de Tropismes, c'est un tort. Je le veux aussi, tu es convaincante ! Je garde un bon souvenir des livres d'elle lus, notamment sur Casanova. L'approche (et le choix) de la rue me plait beaucoup. Vivement que nous puissions y retourner, ainsi que dans le musée tout proche...
    marilire

    marilire Le 16/04/2021

    oh oui, avec la pause gourmande chez Angelina...
  • Aifelle

    3 Aifelle Le 16/04/2021

    Je l'ai repéré, parce que j'ai aimé ce que j'ai lu de Lydia Flem (comment j'ai vidé la maison de mes parents et Lettres d'amour en héritage). Eugène Atget a fait aussi une très belle série de photos à Rouen.
    marilire

    marilire Le 16/04/2021

    J'ai eu la chance de visiter une exposition d'Atget, au musée Carnavalet en 2012 ( cela paraît si loin ! ), j'en ai ressorti la brochure lors de la lecture pour le plaisir. Je ne savais pas pour Rouen ( je ne connais pas la ville ).
  • Tania

    4 Tania Le 16/04/2021

    Très tentée par ce " livre enchanteur et surprenant" (Guy Duplat dans La Libre d'avant-hier), et tu me pousses à céder à cette tentation. Ce fantasme au singulier intrigue, pour toute une rue où tant de grands noms ont vécu.
    Je n'ai lu de Lydia Flem que "Comment vider la maison de ses parents", un sujet qui parle à tout le monde. Si souvent en ville, en regardant les maisons, les immeubles, j'aimerais en savoir plus sur leur histoire, leurs occupants. J'avais beaucoup aimé "La robe de Hannah" de Pascale Hugues sur une rue de Berlin, ton billet m'y a fait penser. Merci, Marilyne, c'est noté.
    marilire

    marilire Le 16/04/2021

    C'est vrai que l'on imagine toujours en se baladant, d'autant plus dans un quartier historique. Cette rue est étroite, petite, un peu mystérieuse, les maisons derrière de hauts murs. L'expression de Lydia Flem me paraît si juste : " Une rue, dix maisons, cent romans. "
  • Kathel

    5 Kathel Le 17/04/2021

    Le genre d'inventaire assez fascinant... je ne dirai pas que c'est ce que j'ai envie de lire en ce moment, ce serait faux, mais je garde en tête le nom de l'auteure, en tout cas.
  • Tania

    6 Tania Le 16/09/2021

    Une somme que je viens de terminer ; il reste à rédiger un billet, qui en recommandera aussi la lecture.
    marilire

    marilire Le 16/09/2021

    Ah, je lirai ton billet avec intérêt.

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