- Actes Sud Babel - 1990 -
- Traduit de l'espagnol par Jean-Paul Cortada -
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Après ma lecture de Pas Pleurer de Lydie Salvayre, je me suis rappelée ce titre noté il y a quelque temps déjà. Il semble qu'il ne soit plus édité en Babel, j'ai eu la chance de le dénicher d'occasion. Il est maintenant disponible aux éditions Le nouvel Attila.
Il s'agit d'un texte bref, moins d'une centaine de pages, une chronique villageoise. La force de ce récit est là, dans ce huis-clos, au plus proche des hommes et des femmes de ce village, la guerre civile en écho, jamais nommée clairement, précisément. Lorsque les Phalangistes interviennent, il s'agit " d'étrangers armés ".
" Pendant ce temps, le drapeau tricolore flottait au balcon de la mairie et sur la porte de l'église. "
Ce roman relate l'histoire de " Paco du moulin " à travers les souvenirs de Mosen Millan, le prêtre qui attend pour célébrer la messe consacrée au défunt, une année après sa mort. Paco, c'est ce paysan espagnol du titre, assassiné. Mais personne ne vient à cette cérémonie funèbre.
Dans l'église, avec un enfant de choeur qui guette, le prête se remémore la vie de Paco, qu'il a baptisé, qu'il a accompagné enfant, qu'il a marié, à qui il a donné les derniers sacrements avant son exécution. Il avait 26 ans, il était devenu le maire républicain de ce village, Paco, cet enfant de choeur vif et curieux, sensible à la misère, volontaire, fidèle.
Au gré des souvenirs, c'est aussi les portraits des villageois avec Jeromina " accoucheuse et rebouteuse ", superstition et commérages, ou le cordonnier républicain, opposants traditionnels au curé. En regard du récit de cette courte vie, cette longue nouvelle est rythmée par une chanson que fredonne l'enfant de choeur, une chanson pour Paco qui relate son arrestation et son exécution, strophe après strophe, au fil du texte. Une seule présence trouble cette journée de souvenirs, celle du poulain de Paco, errant dans ce village près des terres de Lerida, ce poulain qui franchit le seuil de l'église, y semant la confusion.
Finalement, de qui nous parle ce texte ? Autant de Paco que du prêtre. Ce que nous raconte ce Requiem, c'est ce que une guerre civile fait aux hommes, leur impose de choix, cruels. Ce curé n'est pas un mauvais homme, il est le gardien d'un ordre établi, d'une tradition. Il est intéressant de constater que le premier titre original est Mosen Millan.
" Tout d'un coup, on apprit que le roi avait fui d'Espagne. La nouvelle fut terrible pour don Valeriano et pour le curé. Don Gumersindo ne voulait pas le croire, et il disait que c'étaient des histoires du coordonnier. Mosen Millan resta quinze jours sans sortir de sa cure, allant à l'église par le jardin et évitant de parler avec qui que ce fût. Le premier dimanche, il y eut beaucoup de monde à la messe, on attendait la réaction de Mosen Millan. Mais le curé ne fit pas la moindre allusion. A la suite de quoi le temple fut complètement vide le dimanche suivant. "
Ce texte est magistral, sa sobriété lui donne toute sa puissance d'évocation, elle lui donne toute son émotion. Il n'y a aucun jugement dans ce récit, l'auteur ne condamne que la violence des Phalangistes.
Comme l'écrit Hubert Nyssen dans la préface, " c'est la dramaturgie de la guerre civile espagnole dans la société paysanne, alors même que cette guerre demeure pratiquement innomée - ce qui, déjà, en fait entrevoir le caractère innommable. ". Dramaturgie, c'est le mot. Cette nouvelle a des allures de pièce de théâtre antique, une tragédie, avec ses dilemnes et son choeur antique que sont les voix des villageois à travers la chanson.
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Ramon Sender ( 1901 - 1982 ) a été journaliste, proche des anarchistes, et romancier. Durant la guerre civile, son épouse et l'un de ses frères, devenu maire, sont assassinés. Il rejoint la France, puis le Mexique, enfin les Etats-Unis où il reprend l'écriture en parallèle d'une carrière de professeur de littérature. Il se fait naturalisé, renonçant au journalisme et à la politique. Il devient un écrivain prolixe, oublié dans l'Espagne franquiste. Ramon Sender ne revient en Espagne qu'en 1974, à la condition que son Requiem ( publié à Mexico en 1953 ) y soit enfin édité. Refusant un rôle d'auteur engagé, d'activiste, il ne s'établit pas dans son pays d'origine.
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- Le billet de Dominique -
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Commentaires
1 A_girl_from_earth Le 19/01/2021
marilire Le 19/01/2021
2 Aifelle Le 19/01/2021
marilire Le 19/01/2021
3 Kathel Le 19/01/2021
https://www.babelio.com/livres/Sender-LEmpire-dun-homme/254630/critiques/102835
marilire Le 19/01/2021
4 Kathel Le 19/01/2021
5 Ingannmic Le 19/01/2021
marilire Le 19/01/2021
6 Anne Le 19/01/2021
marilire Le 19/01/2021
7 Dominique Le 19/01/2021
http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2010/12/18/requiem-pour-un-paysan-espagnol-et-le-gue.html
marilire Le 19/01/2021
8 Patrice Le 23/01/2021
marilire Le 26/01/2021