Un été avec Pascal

Ete pascal

- Editions des Equateurs -

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L'été fut historique et philosophique par bien des aspects. Je vous épargne mes lectures d'Hannah Arendt ( préparée avec la lecture de l'ouvrage Les Visionnaires ) pour consacrer ce billet à Blaise Pascal, 2023 étant l'année des 400 ans du philosophe et mathématicien ( 1623 - 1662 ) dont la courte vie fut si dense.

Cet anniversaire se traduit en publication : aux éditions Bouquins est parue " L'oeuvre ", une édition qui se veut intégrale.

Plus modestement, pour reprendre la lecture du philosophe, j'ai choisi cette collection " Un été avec... " que j'apprécie ( doublement lorsque le titre est signé Antoine Compagnon comme pour cet opus ), parfaite pour appréhender autant la personnalité et les écrits que le contexte.

Cette lecture, éclairante et stimulante, m’a permis de sortir l’édition poussiéreuse des Pensées de ma bibliothèque, de relire les passages soulignés, les pages cornées, d’en lire d’autres.

Ce recueil des Pensées est un ensemble de réflexions, de méditations et de notes, classées du vivant du philosophe, dont la publication fut posthume ( 1670 ). Il s’agissait d’une ébauche d’Apologie de la religion chrétienne, en dévoilant la misère et la gloire de la condition humaine, en pointant l’être face au paraître.

Cet ouvrage fut pour moi comme une madeleine, pas seulement scolaire. Combien de phrases et d’images nous sont restées ?

Je me suis souvenue de mes propres réflexions et questions à la lecture, adolescente, à propos du fameux pari pascalien sur l’existence de Dieu, du divertissement, du roseau pensant, du cœur « qui a ses raisons que la raison ne connaît point », de l’abîme de cette  formulation « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé », puis de ma découverte de ces tableaux que l’on appelle des Vanités.

« Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre.»

J’avais également approché, à ma mesure limitée, le mathématicien et le physicien avec la « géométrie du hasard », soit ce qui deviendra le calcul des probabilités, via sa correspondance avec le Chevalier de Méré, puis sa démonstration parisienne de l’existence du vide, le prouvant du haut de la Tour Saint-Jacques, expérience qui me fut expliquée lors de ma première visite, au pied de cette tour. Par cette expérience ( liée à la pesanteur et à la pression de l’air ), Pascal réfutait la formule d’Aristote affirmant que « la nature a horreur du vide ».

Blaise Pascal, génie précoce, est parvenu à ne pas opposer connaissances scientifiques et théologie. Il est également parvenu à ce que ses réflexions ne soient pas que théoriques mais politiques, inscrites dans la société de son temps ( son étude sur les relations de la Force et de la Justice ) et pratiques. Il est le créateur de la première machine à calculer, nommée la Pascaline, conçue pour venir en aide à son père.

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Pascaline

- La Pascaline -

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Il est également à l’initiative ( avec son ami le duc de Roannez ), en 1662, de la première forme de transport en commun urbain dans le Paris de Louis XIV ( des carrosses à cinq sous la place sont mis en circulation cette année-là ).

Cette édition est parfaite pour aborder l’oeuvre de Pascal ainsi que sa biographie ( la famille de notables, la figure du père juriste, également mathématicien et musicien, la santé précaire de l’enfant Blaise, la mère disparue trop tôt alors qu’il avait trois ans, les deux sœurs ), très bien contextualisée quant à l’époque, ces aspects politiques ( les conséquences de la Fronde ), scientifiques, religieux : la rigueur du jansénisme, Port Royal, auquel Blaise Pascal adhère, s’érigeant contre les détournements et arrangements des théologiens, affirmant une liberté de pensée face à l’autorité du Pape et l’opposition aux Protestants.

« Pascal mena un long et dur combat contre les casuistes, dans les Provinciales mais aussi dans les Pensées, où l’on peut lire que la religion « chrétienne est bien différente dans les Livres saints et dans les casuistes «. Autrement dit, les casuistes pervertissent la religion de l’Evangile.

Mais qui sont les casuistes ? Ce sont les théologiens, en particulier jésuites, qui analysent et résolvent les cas de conscience, les problèmes moraux. Dans les Provinciales, Pascal s’élève contre leur laxisme, car ils permettent à peu près tout sous certaines conditions. Ils tournent habilement les interdits édictés par l’Eglise.[...] Dans les Provinciales, Pascal met les rieurs de son côté en montrant que les casuistes ont permis tous les crimes. Par exemple, les édits du roi interdisant le duel, et bien-sûr les commandements de Dieu aussi, mais on trouvera toujours un casuiste, Molina, le théologien jésuite espagnol le plus célèbre, ou un autre, Hurtado, Escobar, Sanchez ou Lessius, pour permettre le duel si l’on a pas « l’intention expresse de se battre :

« Car quel mal y a-t-il d’aller dans un champ, de s’y promener en attendant un homme, et de se défendre si l’on y vient attaquer ? » ( VIIè Provinciales )

Ainsi le duel, s’il se présente comme une rencontre fortuite, non préméditée, est permis grâce à une restriction mentale qui n’est aux yeux de Pascal qu’un subterfuge et un jeu sur les mots.» 

Les mots, Pascal sait s’en servir. Il est auteur, lorsqu’il écrit, pourtant au service d’un argumentaire, sa plume se fait littéraire. Il pratique le paradoxe, la profondeur d’une dialectique qui combine les contraires, inscrivant des formules et des comparaisons marquantes.

« Il y a tout un art de penser, un art d’écrire, un art de lire, à découvrir dans les Pensées.»

Le récit de cet Eté avec Pascal nous permet justement de suivre cette pensée fertile, au gré d’extraits de textes, de correspondances ( notamment celle entre les deux sœurs de Blaise Pascal ) et de réflexions d’auteurs et de philosophes des siècles suivants sur l’oeuvre. Je ne fus pas surprise que les philosophes du XVIIIème furent embarrassés par ce (trop) pieux grand penseur.

Je conclue par  le chapitre de l’étonnement intitulé : Pascal et les marxistes :

« Les marxistes ont toujours respecté Pascal. Ils aiment son cynisme politique, son style offensif, sa virtuosité dialectique, son austérité morale, sa foi épurée. On faisait lire les Provinciales aux militants pour les entraîner à combattre leurs ennemis de classe.»

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Dans la catégorie improbable :

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J'ai poursuivi la lecture avec Marc Pautrel, romancier discret dont j'aime la plume :

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Jeunesse pascal

- L'Infini - Gallimard -

Ce court récit, d’une soixantaine de pages, est une variation biographique, sans fiction. Il s’intitule Une jeunesse parce qu’il déroule la vie de Blaise Pascal jusqu’à l’expérience mystique qui précède les écrits.

L’auteur revient sur l’enfance à Clermont ( où la famille s’est réfugiée suite à la Fronde ), la figure tutélaire du père qui fut le professeur de ses enfants, l’illumination de la géométrie comme clé de compréhension du monde, la maladie qui paralyse, les innovations, la vie parisienne avant le dégoût :

« Il perd son père, et aussitôt il reçoit sa fortune, il hérite. Blaise Pascal est toujours malade mais maintenant il est riche, il possède beaucoup de cette valeur d’échange maîtresse des esprits. L’homme riche peut tout s’approprier sans jamais rien comprendre, mais Pascal, lui, veut à la fois posséder et savoir. Il change de vie, il choisit le confort et le luxe, s’installe en plein cœur de Paris avec de nombreux domestiques. Il investit sa fortune dans le commerce et les affaires, il la démultiplie pour financer sa vie personnelle et ses travaux scientifiques. Il mène grand train, avec plusieurs carrosses et quantité de chevaux. Il a des maîtresses nombreuses, à Paris et en Auvergne où la rumeur prétend que vit celle qu’il surnomme « Sapho de la campagne ». Il acquiert une montre à gousset suisse d’une grande précision, qu’il a l’idée d’attacher par un ruban sur le dessus de son bras, à hauteur du poignet, pour connaître l’heure d’un seul regard, et il est le premier à le faire. Il fréquente assidûment la Cour du roi. Il se met à jouer, beaucoup. Et il gagne, toujours. Il a son secret.»

Marc Pautrel décrit les expériences scientifiques, avec de superbes pages sur le Puy de Dôme où va être confirmée le rôle de la pression atmosphérique ( « Voilà, la pression atmosphérique est prouvée, Pascal a mis à nu un autre secret du monde, si important qu’un jour du lointain futur les scientifiques mesureront les variations météorologiques en pascal et en hectopascal...» ).

L’auteur revient également sur la jeune sœur de Blaise, Jacqueline, poétesse devenue religieuse de Port Royal, par les vers de qui viendra la grâce de Richelieu effaçant la crainte des conséquences de la Fronde et permettra à la famille de revenir à Paris. Une vie toute aussi brève et pleine que celle de son frère.

« Les humains trépassent et les survivants les oublient peu à peu, et il ne reste plus rien finalement, la seule chose qui demeure c’est la nature et ses mystères, que les humains mettent au jour un à un, et se communiquent siècle après siècle par le moyen des livres.»

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Pour le plaisir de la description :

« Il faudra que ce soit l’été, Blaise connaît bien les lieux, la végétation envahit tout, c’est une mer verte qui monte, une crue d’arbres et de feuilles, avec son mouvement, son bruissement, ressac et vagues sous le grand vent, et il songe souvent que rien ne ressemble plus au bruit des vagues que le bruit des feuilles brassées par millions. »

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Commentaires

  • niki

    1 niki Le 20/09/2023

    ce n'est pas que je ne m'intéresse pas à Pascal, mais je ne suis pas très enthousiasmée par les apologies de la religion - je vais cependant l'ajouter à mes autres "un été avec ..."
    marilire

    marilire Le 21/09/2023

    J'en ai plusieurs aussi. Je ne prends pas systématiquement, cela dépend qui l'écrit. J'avais beaucoup aimé celui sur Montaigne.
  • nathalie

    2 nathalie Le 21/09/2023

    Un bon moyen d'embrasser la vie d'un homme et d'une famille à plusieurs facettes, comme tu l'expliques bien, philosophique, scientifique, politique... de la bonne vulgarisation. Celui de Pautrel a l'air magnifiquement écrit en plus.
    marilire

    marilire Le 21/09/2023

    Je t'invite à découvrir la plume de Marc Pautrel, tout en finesse.
  • Aifelle

    3 Aifelle Le 21/09/2023

    Il y a pas mal de temps, j'avais lu une biographie de Jacques Attali sur Pascal. Je m'étais dit qu'il faudrait que je lise un autre auteur sur le sujet, Antoine Compagnon ce serait pas mal.
    marilire

    marilire Le 21/09/2023

    Je n'hésite jamais lorsque c'est Antoine Compagnon :)
  • Anne

    4 Anne Le 21/09/2023

    J'ai lu Un été avec Colette. Aussi un bel anniversaire. Billet à venir mais il faut que j'apprivoise un peu ma nouvelle bécane d'abord.
    marilire

    marilire Le 22/09/2023

    Je reconnais que lire Un été avec Colette aurait été plus logique ;-)
  • Thaïs

    5 Thaïs Le 22/09/2023

    Pourquoi pas le livre de Compagnon. C’est une pub pour le chocolat Suchard ? J’adore…
  • Dominique

    6 Dominique Le 23/09/2023

    J’ai fait comme toi j’ai gardé Pascal sous la main tout l’été
    J’ai acheté le Bouquin car mes poches sont en bout de course
    La sseule chose qui m’agace c’est tout ce qu’il emprunte à Montaigne sans jamais l’avouer
    marilire

    marilire Le 25/09/2023

    Je ne peux pas remarquer autant que toi les emprunts, mais il est certain que Pascal m'a donné envie de revenir également à Montaigne.
  • dasola

    7 dasola Le 01/10/2023

    Bonjour Marilyne, j'avais écouté Un été avec Pascal sur France Inter en 2019 : passionnant et je trouve judicieux que ces "Etés avec" soient édités par la suite. Bonne journée.

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