Une certaine raison de vivre - Philippe Torreton

Torreton

- Robert Laffont - 2021 -

Du grand massacre de 14-18, Jean Fournier revient indemne physiquement mais broyé de l'intérieur. Démobilisé, il fait tout ce qu'il peut pour y croire, croire qu'un avenir est encore possible après cinq années à voir et entendre ce que des yeux et des oreilles de vingt ans ne devraient pas avoir à saisir. Il retrouve son emploi discret dans une banque et le destin lui fait grimper les échelons par la grâce d'un amour fol : celui d'Alice. Mais Alice, malgré ses efforts, le voit rêver de hauteurs qu'elle ne connaît pas, celles des cimes où un berger lui a, un jour, offert un autre regard sur les hommes et sur la vie.

.

Philippe Torreton, c'est d'abord, pour moi, le comédien, l'impressionnant comédien - dans La vie de Galilée, la pièce de Bertolt Brecht; dans le film Capitaine Conan, revu grand écran lors de la rétrospective consacrée à Bertrant Tavernier par le Festival Lumière -. Je ne l'avais jamais lu, je l'ai découvert auteur avec ce titre Une certaine raison de vivre.

En lisant la quatrième de couverture, j'ai pensé à ce film, justement, Capitaine Conan, j'ai hésité. Puis, en feuilletant, j'ai lu quelques lignes des dernières pages, les premières lignes des remerciements : " Si je ne devais remercier qu'une personne, ce serait Jean Giono évidemment ". Je suis partie avec le livre.

Si ce roman de Philippe Torreton n'est pas un coup de coeur, je l'ai lu avec intérêt et plaisir. J'en ai beaucoup aimé le ton, le style, cette plume nerveuse, franche et inventive, l'attention portée aux personnages. Ce qui m'a retenue, parfois frustrée, c'est le choix narratif, ce récit décomposé, alternant les années sans respect de chronologie. J'en comprends le principe, c'est la vie du personnage - Jean - en séquences, en fragments, en moments décisifs, en aléas de rencontres, de parcours, en variation d'émotions. Cependant relier ces émotions ne m'ont pas permis de m'approcher de ce personnage. Il m'a manqué une intensité malgré la force des thèmes, des sentiments, des mots.

Une certaine raison de vivre est un roman d'amour et le roman d'une quête, d'un retour à soi, comme un retour aux origines, avec l'écriture comme balise. C'est l'histoire d'un homme absent à lui-même, d'un homme qui ne revient pas de la Première Guerre Mondiale - malgré l'amour - tant qu'il n'a pas écrit les mots qui le libéreront, tant qu'il ne sera pas retourné là où la vie prend sens, prend le dessus - " ces hauteurs d'avant-guerre " - . Jean est poète, Jean est auteur de théâtre. Les chapitres courts comme des scènes ?

L'hommage à Giono est évident, dès les premières pages, récurrent; dès la citation de dédicace : " On a pu te dire qu'il fallait réussir dans la vie. Moi, je te dis qu'il faut vivre, c'est la plus grande réussite au monde. " ( extrait de Les Vraies Richesses ). Nous retrouvons L'homme qui plantait des arbres avec le berger, la rencontre fondatrice puis consolatrice. J'ai également pensé au Grand troupeau, aux écrits pacifistes, aux romans de Provence avec les vents du Sud, le soleil, les paysages, Manosque. En terminant la lecture, avec ce titre, j'ai également pensé - par les " absences " de Jean, ce sentiment de vide, de perte - à Un roi sans divertissementEn postface, Philippe Torreton raconte sa relation à l'oeuvre de Giono.

Finalement, c'est l'écriture qui m'a attachée à cette lecture, cette verve :

" [ 1920 ] - Tous les PCDF ( pauvres couillons du front ) avaient reçu leur carnet de pécule et piétiné dans des centres de regroupement dont certains entourés de séchoirs qui rappelaient des souvenirs maussades et donnaient, en prime, la désagréable impression aux démobilisés d'être retenus prisonniers. Ils s'étaient vus transbahutés dans des trains quinteux chargés jusqu'à la gueule et avaient atterri fatigués et poisseux dans des centres où les attendait une paperasserie militaire à leur faire regretter la belle époque où l'on se foutait sur la gueule sans formulaire. On avait commencé par dételer les anciens, puis ceux qui avaient des frangins sous des croix de bois, était venu le tour des travailleurs " utiles " à la patrie consommante. "

" [ 1929 ] Paris avait froid. Un vent pointu balayait la moitié nord du pays, des flocons glacés sucraient une vieille neige salie par la ville. Les fourrures étaient de sortie, les trottoirs des beaux quartiers se couvraient de bestioles dépouillées marchant dorénavant sur deux pattes. Dans les tranchées, c'était la peau de mouton qui était du dernier chic quand ça pinçait, on se battait pour en posséder et on prenait des risques insensés pour aller en retirer une sur le corps d'un crevé. "

" [ 1938 ] Le monde glissait inexorablement vers le pire, mais Paris grouillait. Le cinéma triomphait; en route vers le théâtre Jean regardait les affiches colorées, toutes ces histoires racontées dont pas une ne parlait de ce monde qui dévissait. Munich, Anschluss, Sudètes, Daladier, Chamberlain... ces noms chapeautaient des colonnes d'encre noire. On y allait. Les morts de 14 s'enfonçaient un peu plus dans leurs terres infécondes et leurs bois sans oiseaux. "

*

Commentaires

  • A_girl_from_earth

    1 A_girl_from_earth Le 06/11/2021

    Je vois aussi Philippe Torreton comme un grand comédien avant tout du coup j'ai du mal à envisager de lire ses romans. D'après les extraits, il semble pourtant avoir un grand talent d'écriture. La curiosité me prendra peut-être un jour de le lire.
    marilire

    marilire Le 07/11/2021

    En lisant, on retrouve sa passion pour les mots, la façon de dire. Je ne regrette pas cette lecture ( en espérant une prochaine pièce de théâtre pour applaudir le comédien :))
  • Aifelle

    2 Aifelle Le 07/11/2021

    Entendre Philippe Torreton lire lui-même des extraits de son roman, je t'assure que c'est quelque chose ! On sent tout de suite l'envergure du comédien. Ceci dit, je le lirai, sans urgence, mais je suis curieuse de le découvrir sous cet aspect-là.
    marilire

    marilire Le 07/11/2021

    Je t'envie ce moment de lecture !
  • Kathel

    3 Kathel Le 07/11/2021

    Le commentaire d'Aifelle donne envie d'entendre ce texte en livre audio lu par l'auteur ! (si le livre audio existe).
    Ce que tu dis du style et la dédicace à Giono font plutôt envie.
    marilire

    marilire Le 07/11/2021

    Oh, c'est certain qu'en livre audio, ce doit être un bonheur, lu par l'auteur-comédien, quel plaisir.
  • Anne

    4 Anne Le 07/11/2021

    Malgré tes bémols, tu me donnerais bien envie de découvrir ce livre ! J'aime beaucoup l'acteur Philippe Torreton déjà, c'est un bon début, non ? ;-)
    marilire

    marilire Le 07/11/2021

    Un excellent début :). Et une belle lecture, malgré mes bémols pointilleux. J'avais envie d'être emportée, justement aussi à cause/grâce à cette verve narrative.
  • Bono Chamrousse

    5 Bono Chamrousse Le 25/11/2021

    Alors là ! Je ne suis pas du tout tentée (pour une fois :-D)

Ajouter un commentaire