
- Blanche Gallimard 2019 - Folio 2020
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À la mort de sa cousine sur la route du Pacifique, au Mexique, un homme hérite d'une valise. Il découvre qu'elle contient des milliers de négatifs des photos de la guerre d'Espagne prises par Capa, Taro et Chim. Et se retrouve dans l'embarras. Faut-il par loyauté se taire et s'en faire le nouveau gardien ? Ou en dévoiler l'existence ? Pour en décider, il remonte la piste des propriétaires successifs de la valise et reconstitue, près de soixante-dix ans après, la longue nuit pendant laquelle l'héroïsme, la discrétion, l'audace de quelques hommes et femmes ont sauvé ces précieux clichés. À lui, désormais, d'en imprimer le nouveau destin.
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Ce roman est inspiré de la réalité, la découverte tardive au Mexique de cette valise contenant les négatifs des photographies prises durant la guerre d'Espagne par Gerda Taro, Robert Capa et Chim. L'itinéraire de cette valise reste en partie mystérieux, les motifs de sa disparition également. Plusieurs expositions à travers le monde permirent d'en voir son contenu. En France, ce fut aux Rencontres de la photographie de Arles ainsi que au Mahj en 2013 - ICI -

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Le récit est à rebours, découpé en autant de parties qu'il y eut de " légataires " de cette valise mexicaine ( comme elle sera nommée ), le narrateur, un homme solitaire, en étant le dernier dépositaire, celui qui cherche à en savoir plus sur l'itinéraire, celui qui finira par en rendre public le contenu en le confiant au frère de Robert Capa ( cet aspect là est véridique, c'est bien Cornell Capa qui récupéra la valise et diffusa son contenu en le confiant à des institutions ).
" De ces boîtes plates et frêles se dégageaient une aura, un parfum de “Ça a été”. Si la chambre mortuaire de Toutankhamon sentait le sable, le cuivre et les os, ces boîtes-là sentaient encore la poussière, le triomphe et les larmes."
Ainsi, le récit - et le narrateur - revient sur cinquante ans d'histoire entre Europe et Mexique, sur l'immigration, à travers ses personnages, d'une plume alerte, enlevée, caustique parfois.
" Les esprits fins surnommèrent un temps la guerre d'Espagne " la guerre des écrivains " : en effet, parmi les milliers d'Européens et d'Américains venus participer aux Brigades internationales, plusieurs centaines écrivirent des romans et des mémoires, si bien que la guerre n'était pas encore gagnée par les franquistes que déjà les obus et ses morts avaient été transformés en mots. Certains affirmèrent qu'ils s'ennuyaient, les écrivains, de voir les idées extrémistes bouillonner à la surface du continent comme une soupe restée trop longtemps sur le feu. Ils s'ennuyaient, alors, quand l'un des leurs, celui dont ils firent leur emblème, le poète Federico Garcia Lorca, est mort fusillé le 19 août 1936, ils ont fait le déplacement pour soutenir les républicains et, en les soutenant, donner du souffle à leur idée : qu'il était encore possible de sauver le continent européen de sa propre destruction. "
Si les pages s'attardent sur la guerre d'Espagne, évidemment, et sur la biographie des trois photographes, elles nous racontent également le Mexique - dont Mexico et Acapulco -, s'ouvrant sur la nuit sanglante d'octobre 1968 lors des manifestations étudiantes et ouvrières - la nuit de Tlatelolco - , ce pays qui accueillit les Républicains espagnols parqués en France. Et elle nous parle de la photographie, de la puissance de l'image, de son usage.
" Il faut imaginer Chim mesurant la lumière sur son capteur en forme de boussole, se rapprochant de son sujet, puis s'en éloignant de son pas félin, réglant l'objectif et clac. Quand on sait la taille du viseur qu'il avait à l'époque, le raffinement de la composition de ses images paraît invraisemblable. Je pense notamment à ce portrait de soldats réunis autour d'une longue table en bois, dehors, dans l'un des villages du Pays basque où Chim est retourné passer une partie de l'hiver 1937. De la laine pend sur un fil qui traverse le cadre en diagonale. Les soldats attablés sont occupés à en faire des pelotes. Nous sommes alors en janvier et le pire de l'hiver est à venir, il est logique que les soldats se consacrent à cette activité humble. Cinq plans différents compose le cliché, jusqu'à la fumée qui brouille le fond du cadre. Ces moments-là de la guerre n'intéressaient ni Regards ni Life. De ce point de vue, l'industrie n'a pas beaucoup changé. Il suffit de regarder les couvertures consacrées à la guerre d'Espagne dans ces journaux qui commençaient tout juste à faire leur beurre avec des photos en première pages : " La capitale crucifiée ", 10 décembre 1936, Regards, accompagné du sous-titre " des photos prodigieuses de Capa " ( Capa apparaît en majuscules, dans une police différente ). En pleine page, une femme d'une quarantaine d'années se tord les mains, les deux pieds dans les débris de ce qui ressemble à un immeuble bombardé. Le 17 décembre, dans le même journal, on peut lire : " Sur la ligne de feu avec les volontaires de la liberté. Des photos extraordinaires de Capa ". Et ainsi de suite. Avant que mon chemin ne croise celui de la valise, j'imaginais que la presse était devenue ce qu'elle est aujourd'hui sur le tard. Il m'a suffi de faire quelques recherches pour réaliser que c'est au moment où les photos ont pris le pas sur l'écriture que le curseur du sensationnel est monté pour attirer un public qui prenait goût au réalisme spectaculaire. Pour autant, ce sont ces mêmes journaux qui ont permis à l'opinion publique européenne et américaine de se faire une idée de ce qui se passait... "
A la fois documentaire et romanesque, developpant la personnalité de chacun des personnages comme les circonstances, ce roman, soutenu par la vivacité de l'écriture sachant ménager l'émotion sur le ton souvent désabusé, offre une lecture aussi intéressante que prenante, avec l'envie d'en (sa)voir plus ( de reprendre le catalogue de l'exposition pour ma part ).
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- Robert Capa - Gerda Taro - Chim - ( source : Mahj ) -
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En lisant, je pensais à une autre exposition aussi, celle consacrée à la photographe Kati Horna - également photoreporter en Espagne durant la guerre - au Jeu de Paume en 2014 ( je présentais cette exposition ICI ).
Au musée de la Libération, à Paris, vient d'ouvrir une exposition sur les femmes photographes de guerre : présentation ( avec diaporama et biographies ) ICI -

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Commentaires
1 Kathel Le 18/03/2022
L'expo doit être intéressante... et le roman aussi. J'avais lu En attendant Capa il y a quelques années (onze déjà, c'était sur mon ancien blog) qui m'avait passionnée, avec quelques petites réserves concernant le style.
marilire Le 20/03/2022
2 Aifelle Le 18/03/2022
marilire Le 20/03/2022
3 Jourdan Le 18/03/2022
C’est noté.
marilire Le 20/03/2022
4 A_girl_from_earth Le 20/03/2022
marilire Le 20/03/2022
5 A_girl_from_earth Le 20/03/2022
marilire Le 21/03/2022
6 A_girl_from_earth Le 22/03/2022
7 Anne Le 27/03/2022
8 Tania Le 05/04/2022