Amazonia - Patrick Deville

Amazonia

- Editions du Seuil - 2019 -

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J'avais lu avec grand intérêt Kampuchea de Patrick Deville. Ce titre-ci est aussi dense, aussi passionnant. Impossible de tout retenir, il faut se laisser embarquer au long cours, ce cours historique et géographique de l'Amazone. 

Ce récit, c'est également celui de la filiation en réflexion - " cette chaîne des pères et des fils " -, pas seulement celle de Patrick Deville et de son fils avec lequel il partage le périple, mais aussi celle d'autres, souvent illustres, qui ont effectué cette exploration.

" S'il est souvent agaçant d'observer son père, de retrouver en lui des travers et des manies qu'on sait en avoir reçus, mais qu'on aurait préféré ne pas, il est fascinant d'observer son fils, ces détails qu'on reconnaît et d'autres inconnus, dans des façons de penser et des tendances , et de déséquilibre dans l'observation est source de malentendus au fil du temps, puisque l'un et l'autre évoluent, se modifient, alors que chacun sans doute aiemrait être le seul à changer et que l'autre demeure constant ".

Ce " projet filial et amazonien " se pare de littérature. Le propos suit les méandres du fleuve autant que de la pensée et du souvenir. C'est une épopée et une méditation. L'érudition n'est jamais appuyée, imposée, elle est toujours vivante. Des phrases longues nous emportent, en variation, jamais en disgression. Il y a des moments et des paysages, des détours biographiques, la civilisation inca, des visites urbaines et la folie des conquérants. En partage, il y a " la petite bibliothèque amazonienne ", dans laquelle se croisent notamment Jules Vernes et des chroniques historiques.

Le voyage débute au Brésil avec Cendrars, ce sera aussi une histoire du Brésil. Amazonia est un récit de voyage autant qu'un récit de mémoire; un récit qui nous raconte le roman du Brésil : les relations aux Indiens, les missions, l'exploitation des richesses naturelles - " Après la folie de l'or puis du café, nous allions chercher celle du caoutchouc. " - , la terre d'accueil pour les Européens dans les années 40. Et la forêt amazonienne en péril, au fil de la navigation, la destruction.

Le ton est dur parfois, cynique, désenchanté.

" Ce grand livre décousu des Essais avait installé en Europe la pensée humaniste et il me semblait que nous vivions la disparition de celle-ci, la fin du rêve égalitaire devant l'explosition démographique, la raréfaction des ressources, l'apparition d'une humanité augmentée laissant les miliards de sous-hommes s'entretuer pour un peu de nourriture et d'eau potable au milieu des décharges. Contrairement à mon père, à son père et au père de celui-ci, ma vie n'avait pas été bouleversée par les guerres en Europe, j'espérais que Pierre pourrait écrire la même phrase. Mon optimisme était chancelant ".

Le voyage nous entraine de Bélem, sur l'Atlantique, jusqu'à Santa Elena, sur le Pacifique, du Brésil à l'Equateur, traversant le continent, faisant halte dans quelques villes et aux confluences. Le récit alterne les rencontres improbables avec des pages documentées consacrées aux explorateurs, tels Darwin et Humbold. Nous croisons également le parcours de Bolivar, de ceux qui ont écrit cette histoire amazonienne.

" Dans les années trente, pendant que Rondon arpente les frontières de l'ouest et du nord, une jeune agrégé de philosophie quitte Mont-de-Marsan, devient professeur de sociologie à l'université de Sao Paulo tout au sud. Claude Lévi-Strauss imagine monter des expéditions vers les villages indiens du nord.[...] Il obtient les autorisations, achète des boeufs, des mulet, le barda, la verroterie, et sept ans après Fleming il monte vers le Mato Grosso. Rondon, qui s'était déjà opposé à l'expédition des Anglais lancés à la recherche de Fawcett, ne voit pas d'un bon oeil cette invasion du Brésil par les scientifiques européens, cette ruée vers l'Indien qu'il préférerait qu'on laisse en paix. On inventerait plus tard cette boutade selon laquelle un groupe de chasseurs-cueilleurs était à présent constitué de dix chasseurs, dix cueilleurs et dix ethnologues. "

C'est ainsi que j'ai découvert les actions du maréchal Rondon qui fonda le premier service de protection des Indiens dans les années 20; que j'ai terriblement envie de dévorer le roman de Mario Vargas Llosa intitulé Le rêve du Celte afin d'en savoir plus sur les engagements et la destinée de Roger Casement; que je peux vous recommander à nouveau le roman Neuf Nuits de l'auteur brésilien Bernardo Carvalho; que j'ai retrouvé Percy Fawcett en quête de La Cité perdue de Z ( cette expédition qui sera l'obsession d'une vie et un ultime voyage filial est racontée par l'excellent journaliste David Grann. Vous avez peut-être lu de lui l'édifiant La note américaine. David Grann ne romance pas.).

C'est un grand voyage auquel nous convie Patrick Deville.

" Pour qui a le goût de voir l'Histoire imposée à la Géographie, le temps inscrit dans l'espace " -

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Le photographe Tomasso Protti a reçu le Prix Carmignac du photojournaliste pour son reportage sur la violente réalité contemporaine de l'Amazonie brésilienne. Un article du magazine Géo ICI.  L'exposition de ses photographies Amazônia - vie et mort dans la forêt tropicale brésilienne - est présentée à la Maison Européenne de la Photographie à Paris jusqu'au 16/02/2020. Certaines photographies sont exposées sur les grilles de l'Hôtel de Ville de Paris jusqu'au 10 janvier.

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- L'hoazin huppé de l'Amazone et moi-même vous souhaitons de joyeuses fêtes -

- Rendez-vous l'année prochaine -

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Commentaires

  • Aifelle

    1 Aifelle Le 21/12/2019

    Il est dans ma PAL ! Je te souhaite de très bonnes fêtes de fin d'année et à bientôt. Bises.
    marilire

    marilire Le 22/12/2019

    Excellent choix ( qui ne m'étonne pas :)).
  • Bono Chamrousse

    2 Bono Chamrousse Le 21/12/2019

    J'ai "Viva" et "Peste et choléra" dans ma PAL... il faudrait peut-être que je les en sorte
    marilire

    marilire Le 22/12/2019

    " Peste et choléra " m'attend aussi...
  • Eeguab

    3 Eeguab Le 22/12/2019

    Très intéressant. J'ai aimé Equatorial et Peste et choléra.
    marilire

    marilire Le 23/12/2019

    Je n'avais pas noté ce titre " Equatoria ", je vais aller voir.
  • Lili

    4 Lili Le 22/12/2019

    Oula, je crois que ce roman risque de me laisser sur la touche, du moins pour l'instant.
    Et si je n'ai pas l'occasion de te le redire d'ici là, je te souhaite un très joyeux Noël, Marilyne.
    Douces bises à toi :*
    marilire

    marilire Le 23/12/2019

    Je comprends, ce n'est pas vraiment un roman, plutôt un récit de voyage, autant dans l'espace que dans le temps. Merci pour tes voeux. De très belles fêtes à toi ( avec des bises chocolatées ).
  • Kathel

    5 Kathel Le 23/12/2019

    De Patrick Deville, je n'ai lu que Peste et choléra, il me semble que je n'avais pas trop aimé le style. Sinon, le fond était intéressant.
    Bien sûr, il faut que tu lises Le rêve du celte ! Vargas Llosa est peut-être un peu inégal, celui-là est très bon et nulle doute que tu y noteras plein de choses !
    marilire

    marilire Le 23/12/2019

    Il faut vraiment que je me décide à exhumer Peste et choléra ! Je suppose que le style diffère peu. Très motivée pour " Le rêve du Celte " :-)
  • Tania

    6 Tania Le 23/12/2019

    Un titre que je retiens pour une amie qui vient de rentrer du Pérou. Splendide oiseau huppé !
    Bonnes fêtes de Noël et de Nouvel An, Marilyne/Marilire.
    marilire

    marilire Le 23/12/2019

    Poursuivre le voyage en littérature, belle idée. Merci pour tes voeux.
  • krol

    7 krol Le 25/12/2019

    Et moi je n'ai toujours pas lu Patrick Deville, pourtant je dois avoir un de ses livres dans ma PAL mais où ? c'est un mystère...
    marilire

    marilire Le 26/12/2019

    Les mystères de la Pal, cela fait aussi partie de son charme ;) ( j'en suis à faire une liste... :-p )
  • maggie

    8 maggie Le 26/12/2019

    J'ai déjà un livre de Deville dans ma PAL, Peste et Choléra et celui-ci me tente beaucoup aussi :-)
    marilire

    marilire Le 26/12/2019

    Ah " Peste et choléra ", le titre qui revient, lu ou pas. Va falloir que l'on s'y perde !
  • Jerome

    9 Jerome Le 26/12/2019

    Deville ne m'a jamais déçu, je ne sais pas pourquoi j'ai fait l'impasse sur celui-ci. Il n'est pas trop tard cela dit, et puis il finira bien par sortir en poche.
    marilire

    marilire Le 26/12/2019

    C'est certain. Il est récent, de la rentrée, le poche sera certainement pour l'été prochain. Contente que tu n'aies jamais été déçu, il m'en reste quelques uns à lire. Un favori ?
  • Jocelyn

    10 Jocelyn Le 20/01/2020

    J'en ai lu le quart pour le moment. Je m'y perd complètement avec tout ce qu'il raconte et son style ne m'aide pas vraiment à la compréhension. Je ne dois pas avoir les bases littéraires suffisantes... C'est dommage car sinon le bouquin doit être très intéressant pour celui qui le comprend. Je vais quand même persister un peu dans sa lecture car je ne voudrais pas vexer la personne qui me l'a offert.
    marilire

    marilire Le 20/01/2020

    Bonjour Jocelyn, merci pour votre commentaire. Je comprends votre difficulté de lecture. Ce récit suit des méandres, autant géographiques que narratifs. Je crois qu'il faut se laisser porter. Je ne suis pas certaine d'avoir tout compris, j'ai souvent regardé la carte, j'ai noté des noms - de lieux, de personnes - et des titres pour en savoir plus après.

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