
- Gallimard 2017 - Folio 2019 -
- Traduit de l'italien par Danièle Valin -
Dans un village au pied de la montagne, un sculpteur aide des clandestins à franchir la frontière. Bientôt, le soutien qu’il leur apporte attire l’attention des médias. Il décide alors de quitter le village et se voit proposer une tâche bien particulière : restaurer une croix de marbre, révéler la «nature» qui se cache sous le pagne du Christ.
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Ce roman d'Erri de Luca rejoint le panthéon de mes lectures de l'auteur, aux côtés de Trois Chevaux et Le tort du soldat. Je ne vous assomerai pas de liens vers mes précédentes lectures de l'auteur italien présentées sur ce blog, je n'ajoute que celui vers la rencontre à Livre Paris cette année autour du thème de l'Europe ICI.
Comme toujours, pour un roman d'Erri de Luca, la tentation est grande de ne pas chroniquer, de simplement vous proposer un florilège d'extraits. J'aime particulièrement cette plume qui, sous son apparente simplicité de forme comme de fond, touche au vif, au coeur, sait dire l'essentiel en ménageant un espace de réflexion au lecteur.
Ce court roman est dense, vibrant. Il nous parle de choix, de valeurs, de morale intime, d'humanité, à travers le sacré, proposant une définition élargie du sacré, un sacré inscrit dans le profane, dans l'humain. C'est la figure du Christ. Dans ce livre, c'est une statue du Christ à laquelle il faut rendre sa nudité d'origine. Son humanité, donc. En cela, le titre de ce roman est parfait.
Il ne s'agit pas d'un roman religieux, d'une pensée religieuse, il peut être considéré comme " théologique ", selon le mot de l'auteur, je lui préfère le mot spiritualité. Erri de Luca n'est pas croyant. Ce qui ne l'empêche pas de donner une valeur au sacré, de s'intéresser aux messages du sacré, aux interprétations, aux sens, d'en être ému et nourrit. Et d'être présent, pleinement présent au présent, physiquement. Dans les romans d'Erri de Luca, le corps est là, les mains qui façonnent, caressent, s'aggripent aux parois, les yeux qui regardent et reçoivent.
" La nature exposée vient d'une écoute. C'est un récit théologique : si le monde et les créatures vivantes sont l'oeuvre d'une divinité, tout récit l'est forcément. Pour ma part, j'exclus l'intervention divine de mon expérience, pas de celle des autres. Avec le tutoiement des prières, des colères, des compassions, je ne peux m'adresser qu'à l'espèce humaine. "
Ce roman, c'est l'histoire de cet homme qui travaille sur la statue, c'est l'histoire des hommes et des femmes qu'il rencontre, qu'il écoute, c'est aussi l'histoire du sculpteur de l'oeuvre originale, ce soldat qui a vu les corps des hommes en sacrifice. C'est aussi l'histoire des émotions ressenties au contact de l'autre. Et la nudité de cette statue, c'est la vie, la vie face à la mort, face au sacrifice.
- " Cet élan d'affection vient directement de la nature exposée. La nudité fait vibrer les fibres les plus anciennes de la compassion. Vêtir ceux qui sont nus, est-il prescrit dans une des oeuvres de la miséricorde étudiées au catéchisme. Qu'est-ce donc la miséricorde que j'éprouve devant cette figure ? C'est une poussée soudaine dans mon sang. Cette miséricorde ne vient d'aucune requête. Ce n'est pas la charité d'une aumône tombée dans une main ouverte. La statue ne me demande rien, elle ne s'avance pas vers moi. C'est mon impulsion qui me fait franchir ma distance de spectateur et me permet d'approcher. Je ne la connaissais pas jusque-là. Je la découvre en ce moment précis. J'ai accompagné des gens pour franchir la frontière. La miséricorde n'a rien à y voir, eux demandaient, moi je répondais. Une fraternité a suffit. "
- " Qu'entendez-vous par sacré ? Ce pour quoi une personne est prête à mourir. "
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Une partie du récit se déroule à Naples, lorsque le narrateur s'y rend pour étudier d'autres statues nues. Depuis le début de ma lecture, lorsque ce narrateur " rencontre " la sculpture du Christ, je pensais aussi à Naples, à une sculpture du Christ, d'un Christ couché dont l'humanité m'avait impressionnée, vu à la chapelle Sansevero ( billet ICI ):

- Giuseppe Sanmartino ( XVIIIème ) -
Erri de Luca cite la librairie Dantes & Descartes que nous avions croisée, joli souvenir.
" Quelle idée de rapprocher ces deux noms illustres ? Dante explore l'au-delà du terme de la vie, Descartes l'en-deçà. "
Dans une librairie milanaise, d'autres propositions de lectures italiennes ( cherchez l'intru ;)).

- Participation au mois italien organisé par Martine -
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Commentaires
1 Dominique Le 21/05/2019
2 Kathel Le 21/05/2019
3 Marilyne Le 21/05/2019
@ Kathel : Erri de Luca, incontournable du mois italien :). Le style qui sert si bien le propos. Il y a deux ans, j'ai vu passer ce roman grand format, j'étais si peu disponible. Et finalement, je ne regrette pas cette lecture " tardive ", d'avoir pu m'y plonger tranquillement ( et après être allée à Naples )
4 Anne Le 21/05/2019
5 Marilyne Le 22/05/2019
6 Tania Le 22/05/2019
7 Autist Reading Le 22/05/2019
8 Cléanthe Le 23/05/2019
9 Marilyne Le 23/05/2019
@ Autist Reading : comme toi, j'ai beaucoup aimé Trois Chevaux, et celui-ci le vaut.
@ Cléanthe : ta remarque est très juste. Il faut dire aussi que la citation est décontextualisée. Elle fait suite à la demande au narrateur si il est croyant, si pour lui le Christ est sacré. Privilège que de lire en VO !
10 Lili Le 24/05/2019
11 Marilyne Le 24/05/2019
12 Annie Le 25/05/2019
13 Marilyne Le 25/05/2019