Nécropolis 1209 - Santiago Gamboa

Necropolis

- Métaillié 2010 - Collection Suites 2017 -

- Traduit de l'espagnol ( Colombie ) par François Gaudry -

Au sortir d'une longue maladie, un écrivain est invité à un congrès de biographes à Jérusalem, métaphore d'une ville assiégée par la guerre et sur le point de succomber.
Comme dans un moderne Decameron, les vies extraordinaires des participants laissent perplexe le héros de ce tour de force littéraire et stylistique. Parmi les participants de ce congrès, on croise le libraire bibliophile Edgar Miret Supervielle, l'actrice italienne de cinéma porno Sabina Vedovelli, l'entrepreneur colombien Moises Kaplan et surtout José Maturana, ex-pasteur évangélique, ex-forçat, ex-drogué, qui dans la langue puissante des rues les plus sordides raconte l'itinéraire de son sauveur, le charismatique Messie latino de Miami.
Mais quelque temps après sa communication, José Maturana est retrouvé mort dans sa chambre. Tout semble indiquer un suicide, mais des doutes surgissent : qui était-il vraiment ?

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De Santiago Gamboa, j'avais lu Retourner dans l'obscure vallée. Mon enthousiasme ne pouvait m'inciter qu'à la récidive. Trop d'enthousiasme sûrement, trop encore dans la magistrale précédente lecture, je suis restée distante passées les premières pages jusqu'à terminer ce livre sans passion, à mon grand regret.

Malgré ses indéniables qualités, ce qui me reste de ce roman, c'est ce trop : trop de procédés, trop d'improbable, trop de marginalité, trop de drogues, d'alcool, de sexe, trop de glauque et de scènes pornos à répétition.

Pourtant, j'ai été emballée par le début, le ton enlevé qui flirte avec l'ironie de ce narrateur-auteur qui s'adresse à son lecteur sans faux-semblants. J'ai beaucoup aimé être baladée de références littéraires en variations de styles et de registres, ce joyeusement impertinent et cynique.

Ce roman raconte beaucoup à la façon d'un roman choral, d'un " Boccacedont les personnages cernés par la peste se réunissent pour raconter des histoires, comme nous le faisons dans ce congrès assiégé. ". En effet, nous lisons les conférences des participants à ce congrès autour de la biographie et de la mémoire, soit des récits de vie qui brassent de multiples sujets sociaux dont le fil rouge est la violence ( guerre, sexisme et industrie du sexe, misère ), avec une mention spéciale pour la réécriture du Comte de Monte-Cristo version Colombie contemporaine entre Farc et paramilitaires ainsi qu'au grand récit sur l'évangélisme à l'américaine ( il faudrait vraiment que je lise Au pays de Dieu de Douglas Kennedy enfoui quelque part dans mes piles )

Nécropolis 1209 est un roman noir, cru, truculent, aux phrases longues, une loghorrée aussi réjouissante qu'elle est écoeurante. Les récits sont denses, philosophiques à leur manière, directs, il nous parle de survie, de renaissance, de reconnaissance. Il nous livre également, avec cette pseudo enquête autour du suicide de l'un des participants ( personnage récurrent de l'auteur déjà croisé dans Retourner dans l'obscure vallée ), une réflexion sur le pouvoir de raconter, des mots, du talent de conteur et d'orateur, sur notre vision et appropriation des histoires, qui n'épargne pas ( non plus ) le monde de l'édition et des " intellectuels ", ou plutôt de " l'intellectualisation ".

Dans ce roman, c'est l'interaction fiction-réalité, pas " de dictature de l'asepsie verbale, idéologique et physique " sur ces pages, une atmosphère apocalyptique, un désenchantement qui parle cependant d'autres possibles. La densité de fond et de forme est accentuée par les mises en abyme, par le roman d'un roman puisque ce narrateur-auteur enquête, reprend l'écriture pour le projet d'un livre sur " le suicidé " José Maturana, cet ex-pasteur venu des bas-fond. Je crois que c'est ce livre là que j'aurai voulu lire.

Deux extraits, pour le plaisir :

Les livres qu'on emporte pour lire, c'est une autre histoire, et ce fut vraiment un grand dilemnme jusqu'au dernier moment, alors que l'ascenceur m'attendait sur le palier et un taxi en bas. Des romans de Wiener et de Walser pour commencer. Trois chefs-d'oeuvres de la forme brève : Petit déjeuner chez Tiffany de Truman Capote, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme de Stefan Zweig, et Hôtel Savoy de Joseph Roth. Enfin, un bon recueil de nouvelles à lire dans l'avion, Les Boutiques de cannelle de Bruno Schulz, pour l'ambiance juive, livre que je lis très lentement depuis des années, publié par Barral Editores en 1972, et le magnifique Trains étroitement surveillés de Bohumil Hrabal, et quelque chose aussi de Philipp K.Dick, Le Maître du haut-château, Nous autres de Evgueni Zamiatine, cette perle rare de la science-fiction, Suite indienne de Paul Théroux, à sa manière le meilleur écrivain des Etats-Unis, le dernier roman de Thomas Pynchon, le meilleur écrivain des Etats-Unis, lui aussi à sa façon, et beaucoup de meilleurs écrivains, et bien-sûr, Une histoire d'amour et de ténèbres, les mémoires d'Amos Oz, le meilleur écrivain israélien contemporain, sans oublier l'oeuvre de saint Jean de la Croix, le père de tous les poètes, Les Illusions Perdues de Balzac, le père de tous les romanciers, et quelque chose de léger, mon Dieu, un récit de voyage, oui, ce petit livre de Pierre Loti sur le Moyen-Orient, où est-il passé ? "

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J'ai aussi dévoré des livres, de la poésie, des romans, des vies exemplaires, l'histoire du monde, n'importe quoi, tout m'intéressait, je voulais retrouver le temps perdu, comme qui vous savez. Je me plongeais dans la lecture après mes visites dans les maisons de redressements, les bouges sordides et autres bordels de la ville où je formais des christophiles à la force du poignet comme me l'avait appris Walter, et la première chose que j'ai découverte c'est que la vie réelle était pauvre comparée à celle des livres; dans les livres il y avait harmonie et complexité, et les trucs les plus atroces brillaient d'une certaine beauté, ça je m'en suis rendu compte en lisant Dostoïevski, Dickens, Böll, y a pas à tortiller, et puis je vais vous faire une confession, chers potes auditeurs, figurez-vous qu'à force de lire, j'ai appris un peu d'histoire et enfin découvert, à presque quarante ans, qu'en Europe, il y avait eu une mégabaston qu'on appelle Seconde Guerre Mondiale, ne rigolez pas, imaginez plutôt la sous-merde que j'étais, car avant, quand quelqu'un parlait de Hitler, je croyais que c'était un chef mafieux ou un tueur en série. Lorsque j'ai lu qu'il avait été chancelier ou président de l'Allemagne, je ne sais pas comment on dit là-bas, j'en suis resté comme deux ronds de flan et je me suis dit, je ne comprends pas : c'est le même pays que celui de Thomas Mann et de Musil ? ça déconne. Et je me suis décidé à demander à Walter de recruter un professeur d'histoire contemporaine pour les jeunes. " 

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- Lecture partagée avec Ingannmic du blog Book'ing -

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Commentaires

  • Ingannmic

    1 Ingannmic Le 25/09/2020

    Ah mince, tu es moins emballée que moi, même si j'ai un bémol suite à cette lecture, mais qui concerne plutôt la fin... J'ai aimé la manière dont ce récit est construit, son humour érudit, et contrairement à toi, j'ai trouvé que la profusion de sexe et de violence y apportait quelque chose en cohérence avec le ton de l'ensemble. J'ai préféré Retourner dans l'obscure vallée, mais ce roman m'a permis de passer un excellent moment, et convaincue de continuer ma découverte de Santiago Gamboa.
    marilire

    marilire Le 26/09/2020

    Même bémol pour la fin, et tu as raison pour la cohérence mais je crois que je m'attendais pas à si noir. Toutefois j'ai aimé ce mélange des genres, ce jeu de références. Je vais attendre ta prochaine lecture de l'auteur pour poursuivre :)
  • keisha

    2 keisha Le 25/09/2020

    Après cette lecture, j'en ai lu plein de l'auteur, franchement intéressant!
    marilire

    marilire Le 26/09/2020

    Je n'en doute pas, ces romans sont denses. Un conseil pour une prochaine lecture ? ( jamais deux sans trois ... )
  • krol

    3 krol Le 25/09/2020

    Tu es encore plus sévère qu'Ingannmic, qui avait émis un bémol sur la fin du livre. Je note donc celui qui vous réunit toutes les deux : Retourner dans l'obscure vallée.
    marilire

    marilire Le 26/09/2020

    Une lecture qui me reste, avec du Rimbaud dedans.
  • niki

    4 niki Le 25/09/2020

    voilà qui pourrait m'intéresser, mais ayant reçu des livres pour mon anniversaire (dont une brique - merci mon fils ;) ), je passe mon tour (pour le moment)
    marilire

    marilire Le 26/09/2020

    Bonne chance pour la brique :-D
  • Kathel

    5 Kathel Le 26/09/2020

    J'avais tenté, je crois, Perdre est une question de méthode... pas convaincue, et ton avis ne me pousse pas à me précipiter sur ce roman trop sombre.
  • Lili

    6 Lili Le 27/09/2020

    J'avoue qu'à partir de cette phrase : "trop de procédés, trop d'improbable, trop de marginalité, trop de drogues, d'alcool, de sexe, trop de glauque et de scènes pornos à répétition.", tu m'as perdue :D

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