Une balle perdue - J.Kessel

Balle perdue kessel

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Dans la BD Le chant des Asturies, le récit se déroule durant les insurrections espagnoles de 1934 dans cette région minière, la révolte la plus dure, la plus sanglante. Je vous propose ce texte de Joseph Kessel en regard.

Il s'agit d'une longue nouvelle ou d'un court roman d'une centaine de pages ( bien qu'il me semble plus proche de la nouvelle par sa tructure narrative et l'effet de chute en épilogue ). Il se déroule à Barcelone durant la grève puis l'insurrection avortée revendiquant l'indépendance de la Catalogne en octobre 1934; c'est Barcelone contre Madrid.

Dans une préface, l'auteur explique qu'il était sur place ces quelques jours, que ce à quoi il a assisté l'a obsédé, cette foi, ce désespoir. 

Joseph Kessel construit son récit sur ces quelques jours, sur cet évènement, en suivant deux personnages, deux amis. Alejandro est un gavroche, un cireur de chaussures de 17 ans, joyeux, simple, confiant, la beauté l'émeut. Il est naïf et pur, il se croit anarchiste sans s'affilier. Ce qu'il croit, en réalité, c'est à cette belle utopie de la fraternité, de la dignité, de l'honneur et du respect.

" La simplicité de cette foi, ses promesses, son tour enfantin convenaient si bien aux exigences intérieures d'Alejandro, que, l'ayant découverte, il pensa l'avoir toujours professée. Pour lui-même, il n'aspirait à aucun changement. Son destin qui lui permettait de chérir l'existence à sa guise comblait ses voeux. Il ne connaissait plus la faim ou presque. Un toit abritait son sommeil. Il avait deux amis. Aux terrasses des cafés, beaucoup de visages lui souriaient. Et Barcelone entière était à lui avec ses foules et sa lumière, ses jardins et ses quais. S'il fallait combattre, c'était pour les autres, les pauvres gens. "

Son ami Vicente est étudiant, son aîné de trois ans. Il l'impressionne par son érudition, sa façon de manipuler les idées, les théories, les mots. Vicente veut " participer " à l'Histoire, il s'engage dans l'insurrection, devenant le responsable d'un petit groupe tenant une place. Alejandro, fidèle, l'accompagne, bien que les anarchistes ne se joignent pas au mouvement. Le cireur de chaussures n'est là que pour son ami, pour protéger son ami. 

Ce récit, à la tension croissante, nous relate la perte des illusions, la perte de l'innocence, de l'idéal aussi. Parmi ses jeunes qui s'arment, exaltés, inexpérimentés, désorganisés, Alejandro assiste et se confronte à une réalité, non seulement politique et sociale, mais également à la réalité humaine. Pendant plus de vingt-quatre heures de veille, d'agitations, de troubles et d'angoisses, se révèlent les âmes, des partisans, des témoins, de la population. Alejandro y perd tout ce qui le rendait heureux, ayant reçu de " singulières clartés sur le coeur des hommes " plus blessantes que les balles.

Ce récit est prenant, par le talent de conteur de l'auteur, qui nous approche au plus près de ses personnages et des événements, et par la qualité évocatrice de ses descriptions, ne négligeant ni les personnages secondaires, ni la ville, ni les atmosphères.

" Palais, cloîtres et cathédrales se devinaient dans l'ombre, masses fortes et profondes, disciplinées par un ordre glacé et une rigueur monastique, décantées par la nuit. [...] Des lampadaires puissants projetaient une lumière tendue, sans vibration ni ride, sur les pelouses, les massifs, l'entrée grillagée du métropolitain, sur les policiers et sur les partisans. "

Et ce récit est poignant. Magnifique texte.

" Il avait à sauver envers lui-même les deux sentiments sans lesquels il ne pouvait pas vivre : son amour de la vie et le sens de plus pur de la dignité humaine. "

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- A propos de Joseph Kessel, le récit biographique " La vie jusqu'au bout " des éditions Transboréal ICI -

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Commentaires

  • niki

    1 niki Le 19/06/2023

    une belle bio de kessel égament est celle d'yves courrière
    marilire

    marilire Le 19/06/2023

    En biographie, je n'ai lu que le titre des éditions Transboréal, j'aime bien leur parti-pris, celui des voyages de l'auteur ( j'avais d'abord lu celle d'Hemingway dans cette collection, qui m'avait convaincue de poursuivre ).
  • Dominique

    2 Dominique Le 19/06/2023

    Kessel a beaucoup écrit et je ne connaissais pas ce texte mais bon on ne peut pas tout connaitre
    marilire

    marilire Le 19/06/2023

    Ce récit est issu d'un recueil intitulé " Pour l'honneur " qui était publié par les éditions Plon. J'ai regardé, il semble que ce recueil n'est plus édité.
  • A_girl_from_earth

    3 A_girl_from_earth Le 19/06/2023

    Je ne doute pas une seconde que le récit est poignant et le texte magnifique. C'est le souvenir qui me reste encore, 20 ans après, de la lecture des Cavaliers, un peu plus épais.:) Tu me donnes bien envie de replonger dans ses oeuvres !
    marilire

    marilire Le 20/06/2023

    Kessel fait partie des auteurs que j'essaie de relire ( je me crée des thématiques comme ça, avant c'était Hemingway :)). " Les cavaliers " est noté-souligné.
  • claudialucia

    4 claudialucia Le 11/09/2023

    Un Kessel que je ne connais pas et sur un sujet qui m'intéresse !
    Je voulais te dire que pour Perspectives j'ai programmé mon billet pour mercredi. Si tu veux, je peux le retarder pour t'attendre. je l'ai proposé aussi à Je lis je blogue. Pour Humus je pense l'avoir fini d'ici la fin de la semaine. Propose- moi une date pour une LC.
    marilire

    marilire Le 11/09/2023

    Je lirai avec intérêt ta chronique pour Humus. Quant à Kessel, petit projet personnel de (re)lecture. Pour Perspectives, je t'ai répondu sur ton blog.
  • tadloiducine

    5 tadloiducine Le 12/09/2023

    Oui, je crois que je dois avoir "Pour l'honneur" en livre de poche (datant d'il y a plusieurs décennies), et le recueil contient d'autres textes courts.
    Là, je suis en train de lire un livre de Robert McLiam Wilson, et il évoque notamment un épisode où, en Ulster (dans les années 70), des soldats britanniques se font canarder par un mystérieux tireur d'élite... Et celui-ci n'est pas bien vieux!
    "Jouer à la guerre", vous avez dit?
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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