Folie d'art - Page 6

- Carnet d'écriture -

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J’écris un récit historique qui traite d’art. Les documents que je peux consulter sont donc d’une extrême importance. Parmi ces documents, il y a des reproductions d’oeuvres et des photographies d’archives. Voir m’aide à écrire, comme une immersion, elles sont un support. Je suis quelqu’un de visuel, que je sois autrice ou lectrice.

Je m’interroge à ce sujet. Puisque j’écris sur un domaine visuel, sur le regard ( sous plusieurs aspects : autant voir que reconnaître ) comment envisager ce récit sans image publiée pour accompagner le propos ?

Pour les œuvres, je les décris. J’essaie d’être précise, de mêler objectivité par une description factuelle puis subjectivité pour faire ressortir le pourquoi de ce choix d’oeuvres, ce que j’y rattache. Comment parler d’art sans proposer des œuvres ? Et des artistes ? Les photographies permettent d’incarner, de témoigner d’une époque aussi. Les décrire, même en s’attachant au contexte et aux postures est moins efficace, bien moins probant quant à l’intérêt de les mentionner pour le récit. Je me demande si ces descriptions sans image ne pèsent pas sur le récit plutôt qu’elles ne l’illustrent.

J’ai copieusement pesté contre les éditions Métailié lors de la parution du récit de Rosa Montero L’idée ridicule de ne plus te revoir, dans lequel elle s’attarde sur la biographie de Marie Curie, relatant en miroir son propre deuil. Dans l’édition originale espagnole, le livre comporte des photographies de Marie Curie, présentes en descriptions et réflexions dans le texte de Rosa Montero, pas dans l’édition française des éditions Métailié, ce qui donne notamment un chapitre extrêmement frustrant parce que totalement appuyé sur l’une de ces photographies.

Il y a une émotion plus personnelle devant des photographies et une réalité perceptible qui permet de rendre concret les mots du récit. C’est ce que j’ai ressenti en lisant L’invention de la nature de Andrea Wulf ( une biographie d'Alexander von Humboldt - Editions Noir sur Blanc ), j’ai apprécié les quelques reproductions de documents d’époque. Elles m’ont manqué dans Un monde sans rivages d’Hélène Gaudy ( que je citais au précédent Folie d’art au sujet du choix du titre - également aux éditions Actes Sud ) d’autant qu’une exposition photographique est à l’origine du récit, ces photographies retrouvées et développées des années après l’expédition.

Dans la catégorie Essai, je pense aux livres sur les couleurs de Michel Pastoureau ( éditions du Seuil ) : Noir - Bleu - Vert - Rouge - Jaune - Blanc. Par les couleurs, l’historien nous propose une approche transversale, historique-sociale-artistique, les symboliques, le lexique. L’iconographie de ces livres est fabuleuse, principalement des peintures mais pas que, des reproductions d’affiches, des photographies. Lorsque ces livres sont publiés en format poche, il n’y a plus aucune image. Le texte est très intéressant, c’est certain, mais quelle perte !

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Pastoureau couleurs

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Je n’aurais pas pu supporter que le récit de Françoise Cloarec sur Séraphine de Senlis ne comporte pas de reproductions d’oeuvres ( encore mieux, il y a également des photographies, les images étant regroupées dans un cahier central - Éditions Phébus ). Parfois, c’est simplement une carte qui manque, pour un récit de voyage.

A chaque fois que dans un roman ou un essai, je croise le nom d’une œuvre ou d’un artiste, j’éprouve le besoin d’aller voir, au sens propre. Ce qui fait que je lis certains ouvrages avec la tablette à mes côtés ou je note le nom-la page pour y revenir, comme ce fut le cas lors de ma lecture du roman Le tombeau d’Apollinaire de Xavier-Marie Bonnot ( éditions Belfond ) qui m’a permis de découvrir le peintre allemand August Macke.

Êtes-vous aussi visuel et nerveux que moi ?

Envisager un récit avec des images pose la question éditoriale.

D’abord parce que la volonté d’un récit avec visuels peut influer sur le choix de l’éditeur à qui proposer le récit ( en limitant ce choix, en le spécialisant, notamment ).

Ensuite parce qu’avec des visuels, il ne s’agit pas du même livre. On ne le feuillette pas de la même façon, on ne l'envisage pas de la même façon ( peut-être même n'en attendons nous pas la même chose ). Du fait des visuels, il peut être de plus grand format, et plus onéreux ( la publication de l’image a un coût, l’imprimerie, des droits de reproduction ).

Enfin parce que on ne peut que soumettre à l’éditeur, comme le titre, le principe d’un récit avec des visuels. L’éditeur gère des collections, une cohérence de ses parutions et son projet pour le récit qu’on lui propose.

Le choix et les réponses des éditeurs ( avant le suivi si contrat ) pour un prochain sujet de ce Carnet d’écriture ?

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Bonheur auteur chereau

- Le bonheur d'être auteur - Antoine Chereau -

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Commentaires

  • niki

    1 niki Le 03/02/2023

    Peut-être suis je hors sujet, mais j’ai vraiment aimé le roman de rosa montero - sinon, cette chronique est totalement intéressante
    marilire

    marilire Le 04/02/2023

    Nous ne sommes jamais vraiment hors sujet lorsque nous parlons de livres :). J'ai beaucoup aimé également ce récit de Rosa Montero, il m'a touchée, c'est aussi pourquoi j'ai tant pesté ! " La folle du logis " m'attend encore.
  • Nathalie

    2 Nathalie Le 03/02/2023

    Je trouve trop souvent que les auteurs se servent des images pour illustrer leur texte alors qu’elles disent des choses par elles-mêmes - il faut les faire parler. Du coup pour moi le sujet n’est pas exactement celui de la description.
    En dehors des livres d’histoire de l’art, il y a des choses intéressantes, mais spontanément je pense seulement à W.G. Sebald et aux Disparus de Mendelsohn. Il est vrai que les contraintes financières, matérielles et éditoriales sont réelles sur ce sujet.
    marilire

    marilire Le 04/02/2023

    En effet, le sujet n'est pas celui de la description, ni même d'un " enrichissement " du propos par l'image. Je me demandais simplement si, pour le confort-intérêt du lecteur, proposer des visuels, pour satisfaire la curiosité-rendre concret/incarné, ( pas seulement des oeuvres, cela peut être des affiches, des photographies d'époque ) est intéressant. Quant à la relation texte-image, je te rejoins, et je le vis au quotidien, mon mari étant illustrateur. C'est le premier travail qu'il fait, concevoir le " découpage " - le chemin de fer - visuel du récit. Que va-t-il dire/ mettre en avant par ses dessins ? Personnages, actions, paysages ? Sous quel angle ? En cabochons ou en pleine page ? Quelle espace dans le dessin pour le texte, à quel endroit, insérer ou pas, pour conserver le rythme et l'ambiance. Ensuite, ce sont les échanges avec l'auteur - ses perspectives et ses modifications du texte - et les essais ( auxquels je suis donc soumise :)). Tout ce travail est passionnant. Je me m'y suis beaucoup intéressée lorsque j'étais rédactrice culturelle et que je proposais des sélections-chroniques d'albums. En sens inverse, je lui soumets ce que j'écris, et il me dit si " il voit ", c'est important pour moi.
  • A_girl_from_earth

    3 A_girl_from_earth Le 04/02/2023

    Oh oui, moi aussi je suis très visuelle (mais pas nerveuse... Enfin, je crois.^^) ! Pareil, je vais souvent rechercher les images évoquées sur mon téléphone si elles ne sont pas dans le livre (peinture, photo, paysage, lieu, tout...). Grâce à cette facilité d'accès, je n'attends pas forcément qu'elles soient dans le livre d'ailleurs.
    marilire

    marilire Le 04/02/2023

    J'envie ta sérénité ^^. Ce que tu soulignes est très intéressant, cette facilité d'accès à l'image. Comme toi, j'aime bien voir les lieux, les visages des personnes quand elles ne sont pas fictives.
  • Kathel

    4 Kathel Le 04/02/2023

    Comme a_girl, je pense qu'il est toujours possible au lecteur d'aller chercher les images, et je le fais souvent d'ailleurs, que ce soit des oeuvres d'art, des paysages... mais cela dépend bien sûr des livres, certains appellent plus que d'autres à ces recherches.
    Quant à ton interrogation, c'est certain que le livre va changer de format, (et de rayon en librairie) selon qu'il n'a pas d'illustration, qu'il a un cahier de photos ou des illustrations au fil du texte...
    marilire

    marilire Le 05/02/2023

    Voilà, il y a aussi la question de " l'objet livre ". Je suis bien placée pour constater que les livres " illustrés " sont toujours difficile à classer ( lorsqu'ils ne sont pas clairement BD - album - art - géo - etc ). Peut-être que je me projette trop en tant que lectrice sur ce projet ( en témoigne ce Carnet d'écriture qui n'était peut-être pas non plus une bonne idée ).
  • Autist Reading

    5 Autist Reading Le 04/02/2023

    Ta réflexion fait écho à un échange que j'ai eu il y a peu avec un lecteur qui venait de lire les lettres de Van Gogh à Theo. Si on avait aimé que la lecture de cette correspondance explose le cliché du génie créateur, isolé du monde par sa folie, qui colle à la peau de Van Gogh, on regrettait tous les deux de ne pas avoir trouvé en miroir des lettres une reproduction des œuvres (les siennes et celles de contemporains) qu'il décrit ou auxquelles il fait allusion dans ses courriers. Il est toujours possible de satisfaire sa curiosité par des allers-retours dans les livres ou sur Internet; mais pour le moins, c'est fastidieux et ça pénalise la fluidité de la lecture.
    Si en tant que lecteur, je déplore ce genre de manque (j'ai failli écrire "faute"), j'imagine que d'une façon plus pragmatique, les droits (sous réserve qu'ils soient accordés) doivent rapidement faire grimper la facture pour l'éditeur, plus encore si on veut des reproductions de qualité (tant qu'à faire !).

    Dans le cas de ton projet, c'est un peu différent ; je ne pense pas que le besoin soit aussi fort puisque tu prends le parti de décrire précisément l’œuvre. Une reproduction ne serait pour le lecteur qu'un moyen de contrôler si ce qu'il avait imaginé d'après ta description correspond d'assez près à l’œuvre. Dans le pire des cas, on peut même imaginer que par facilité ou par réflexe, le regard irait directement se fixer sur la reproduction avant même de lire ton texte qui, pour le coup, pourrait sembler redondant.
    Enfin, ce que je trouve intéressant dans le parti-pris de la description, même la plus clinique possible, c'est ce que la part de subjectivité dit de l'auteur : par quel bout il prend l’œuvre, par quoi il commence, quels sont les détails qu'il met en relief, etc.
    marilire

    marilire Le 05/02/2023

    Grand merci, tu réponds à toutes mes questions. Ton exemple me parle, je suis également ce type de lectrice, et souvent les " images " me manquent. Et bien d'accord, rien de pire que des visuels de mauvaise qualité, que ce soit pour des reproductions d'oeuvres que pour des photographies. L'horreur de ces petites images noir&blanc, ou plutôt bien grises, resserrées sur une page. Ta réflexion sur ce qu'une description dit de l'auteur et de son projet, soit de sa subjectivité ( déjà pourquoi cette oeuvre, cet artiste ), est très juste. Et c'est mon propos. Transmettre mon émotion, au sens large. Il est évident que je ne fais pas dans le catalogue, ni dans le panoramique, ni dans le cours magistral, ni dans le commentaire d'oeuvres. Les oeuvres que je cite sont intégrées au récit, à son rythme. Elles peuvent être aussi, comme des photographies, comme des " arrêts sur image ". Je m'interroge parce que il est question d'oeuvres moins connues ( comme si je m'attardais sur le peintre spirite Fleury Joseph Crépin que j'avais présenté sur le blog dans un Folie d'art ) et beaucoup sur les photographies ( lieu, personne, événement ).
  • Alys

    6 Alys Le 04/02/2023

    Gloups, publier le bouquin de Rosa Montero sans les photos, c'est un bien mauvais choix... Et pareil pour Pastureau!
    marilire

    marilire Le 05/02/2023

    Le livre de Rosa Montero perdait de son sens, et de sa force, sans les photographies ! Ce n'était plus le même livre.
  • Passage à l'Est!

    7 Passage à l'Est! Le 05/02/2023

    Tes thèmes de réflexion sont si pertinents... et celui-ci me prend à nouveau au dépourvu car je n'y avais jamais réfléchi. Mon commentaire ne va donc rien apporter d'utile à ta réflexion! Je pense ne pas être particulièrement touchée par le côté visuel avec une exception importante pour la non-fiction où j'aime (je veux!) avoir une ou plusieurs cartes quand le livre évoque plusieurs lieux ou un voyage.
    marilire

    marilire Le 07/02/2023

    Comme toi, pour un récit de voyage, j'ai absolument besoin d'une carte. Je te remercie. Tu essaies de répondre, c'est déjà beaucoup. Ce Carnet d'écriture, c'est pour le partage de l'aventure et pour l'échange autour du sujet livre-lecture, pas directement pour les réponses. Je crois que j'ai besoin d'une pause blog. A bientôt.
  • maggie

    8 maggie Le 12/02/2023

    J'adore les livres illustrés, pas seulement les albums mais aussi les essais... J'aime beaucoup les documentaires d'Ali Paré ( elle commente et analyse des tableaux). En dehors des docu, il y a le romancier Selznick qui écrit un récit et en alternance, les images racontent une autre histoire...
  • Tania

    9 Tania Le 15/03/2023

    Pensé aussi aux photos que Patti Smith intercale dans ses récits. Tout à fait d'accord à propos de la perte en passant du format original au Poche pour les formidables histoires des couleurs par Pastoureau.
    L'internet sur le téléphone portable est un adjoint précieux à la lecture quand les illustrations manquent - et elles manquent toujours aux visuels ;-). Miracle de la littérature romanesque quand elle montre et fait imaginer sans voir, pourtant.
    Un cas inverse : le "Bonnard" dans la collection "L'essentiel" chez Hazan - uniquement des reproductions, après une courte introduction - et du coup, la recherche de commentaires ailleurs pour mieux voir ces oeuvres ! Comme quoi, les mots et les images, c'est une vraie question comme tu l'expliques bien dans ce billet passionnant. On attend la suite...
    marilire

    marilire Le 16/03/2023

    Je n'avais pas pensé au cas inverse ! Il est vrai que certaines monographies sont chiche en commentaires après les premières pages d'introduction. Pour l'heure, je travaille selon la formule " sans image ", il me semble que ce sera plus facile d'aménager si nécessaire dans ce cas. Merci à toi.

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