Folie d'art - Page 5

- Carnet d'écriture -

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A l’écriture d’un récit se pose la question du titre de ce récit, de l’enjeu du titre.

Doit-on choisir un titre explicite, quitte à ce qu’il soit long, sous prétexte qu’il ne s’agit pas d’un roman ? Le type de titre « scolaire» qui définit strictement le sujet, ou qui en serait comme la synthèse, un résumé. Au contraire, faudrait-il un titre accrocheur ( plus romanesque justement ), qui rend curieux, ou plus encore un titre mystérieux qui incite à se demander quel est le propos de l’ouvrage, à consulter la quatrième de couverture, voir un titre qui ne trouve pleinement son explication qu’au terme de la lecture ?

Souvent, le titre d’un livre est choisi au terme de l’écriture. Le titre donne le ton et l’orientation du récit, l’idée forte, même s’il ne précise pas le contexte. Je pense au récit de Marguerite Duras La douleur ou au récit-souvenir de David MacNeil, le fils de Marc Chagall, Quelques pas dans les pas d’un ange.

Un titre, c’est aussi le choix de l’éditeur parce qu’un titre est commercial ( et que l’éditeur vérifie qu’il n’a pas déjà été utilisé ou qu’il ne renverra pas à un tout autre livre/film/sujet ).

Il ne faut pas oublier non plus qu’un titre est rarement seul, il y a l’illustration de couverture qui l’explicite et parfois un sous-titre.

Je lis un ouvrage historique et philosophique : Les visionnaires de Wolfram Eilenberg ( chronique à venir ). Ce titre généraliste n’indique pas du tout que ce livre va confronter la pensée de Simone de Beauvoir, Simone Weil, Ayn Rand et Hannah Arendt, même avec la précision du sous-titre « 1933-1943 ». Au mieux, nous comprenons que ce récit va aborder des théories. Mais il y a l’illustration de première de couverture : quatre photographies, les quatre portraits. Et il y a le nom de l’éditeur : Alisio Histoire qui « catégorise » le livre.

Les trois récits de Dan Franck sur les artistes de la première moitié du XXème siècle jouent sur ce qu’évoquent les mots : Bohèmes - Libertad ! - Minuit - et s’appuient sur l’explicite du sous-titre : Les aventuriers de l’art moderne ( 1900-1930 / 1931-1939 / 1940-1944 ).

L’impact d’un titre est également conditionné par l’apparence des collections d’éditions. Dans la collection Blanche de Gallimard ou aux éditions Grasset, pas d’illustration de première de couverture, au contraire des éditions Actes Sud qui associent à leurs parutions des artistes ou des photographes, souvent contemporains. Les éditions Zulma ont choisi une charte graphique colorée signée par l’artiste David Pearson en signe de reconnaissance de leurs publications. De même pour les éditions Verdier avec ses couvertures jaunes. J'ai lu avec grand intêret Au lieu du péril de Luba Jurgenson, mais si l'on ne sait pas qu'elle est traductrice, on ne peut imaginer que ce livre est un témoignage sur le bilinguisme. Pour Colonne d'Adrien Bosc, l'illustration de couverture ne suffit pas pour dire Guerre d'Espagne et Simone Weil, même si elle dit une atmosphère. Idem pour Croire aux fauves de Nastassja Martin.

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Colonne bosc

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Pour revenir au titre, le mien s’est imposé alors que je réfléchissais à mon sujet. Ce sont les premiers mots que j’ai écrits. Je ne sais pas si ce titre sera définitif mais il est pour moi comme le fil rouge de mon récit, l’aspect qui relie, qui me semble essentiel ( je fais de même pour chaque chapitre comme un guide me permettant de garder devant les yeux ce que je veux mettre en exergue des informations ).

Doit-il y avoir nécéssairement dans mon titre les mots ART ou ARTISTE ? Puis-je jouer avec les mots ? Dans ce cas, dois-je m’appuyer sur un sous-titre ? Ou dois-je m’en remettre simplement à la collection de l’éditeur qui indiquera le genre du récit et son domaine ? La difficulté étant que le domaine de l’histoire de l’art mêle les domaines. Un titre factuel me semble universitaire, ne pas convenir à un récit.

J’aime jouer avec les mots, avec leur polysémie, leur faculté de suggérer des images et/ou des atmosphères, à s’offrir à l’interprétation.

Alors que j’écris sur la période artistiquement foisonnante de l’entre-deux guerre et la reconnaissance des arts non-académiques, alors qu’en Allemagne, à cette époque, l’art est révolutionné par le mouvement de la Nouvelle Objectivité, puis-je donner pour titre à mon récit : Nouvelles Subjectivités ? Ces deux mots disent beaucoup sur mon sujet - nouvelle façon de voir - , ils ne disent objectivement rien non plus de précis sans l’appui d’une image ou d’un sous-titre pour contextualiser, exactement comme le récit d’Hélène Gaudy Un monde sans rivage : c’est la photographie en première de couverture qui nous indique le récit de voyage, son époque, ainsi que l’espace, cette image de banquise donnant tout son sens au titre.

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Monde sans rivage

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Les mots d’un titre attirent, ils repoussent autant.

Si j’avais intitulé l’article sur les peintures de Fleury Joseph Crépin : Art spirite, l’auriez-vous lu ? L’auriez-vous lu de la même façon ? Le spiritisme ( comme le spirituel ) peut détourner l’intérêt.

Un autre exemple concret, en livre jeunesse : pour le dernier album paru du personnage Charles le dragon illustré par mon mari, il lui a été déconseillé d’utiliser le titre qu’il avait choisi : Méchant Charles. Le motif en était que ce titre était trop agressif pour un livre pour enfants. Il aurait mieux valu le mot Colère, plus proche de l’univers enfantin, moins définitif, plus pédagogique. Mon mari a pensé que Méchant Charles ne ferait pas peur aux enfants. Ce qui fut le cas comme nous l’avons constaté lors des séances de dédicaces. Parmi les quatre titres parus, les petits lecteurs sont attirés par cet album. Mais, par retour de libraires, nous avons su que, tout-de-même, ce titre posa problème. Aux adultes. Pour eux, ce titre était soit négatif soit effrayant. On n’offre pas un album qui parle de méchanceté. C’est amusant, durant les salons, de voir l’enfant saisir Méchant Charles ( avec une certaine gourmandise ;)) et le parent choisir Charles à l’école des dragons, titre plus lisse, plus « standard » et parfaitement explicite quant au contenu. Et puis l’image, l’illustration de couverture : dans la logique du titre, mon mari a dessiné un dragon Charles frontal, à l’expression menaçante. Titre et image, c’était trop, semble-t-il. Il aurait fallu que l’un adoucisse l’autre, paraît-il.

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Couv 1

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La question se pose encore alors qu’il dessine le cinquième album maintenant que le choix de l’illustration de couverture est arrêté. Le titre original ne convient plus, l’éditeur veut le changer parce qu’il dévoile trop de l’histoire associé à l’image ( c’est donc maintenant l’auteur qui est dans les affres et les cogitations pour un autre titre ^^ ).

Je me demande si l’on peut choisir un titre qui ne soit pas explicite sans prévoir un sous-titre quand on ne sait pas à quoi ressemblera la première de couverture ( d’autant qu’elle peut également orienter ce qu’on imagine du contenu du livre ).

Et finalement, ne sommes-nous pas plus sensibles, en première approche, à cette vision d’ensemble du livre qu’à la l’explicite ou l’implicite d’un titre ?

Je me permets de citer Kathel ( qui ne m’en voudra pas parce qu’elle me connait et qui me répondra, enfin j’espère :)) : dans son Bilan 2022 que j’ai lu alors que je rédigeais cette page, la première catégorie est : « m’a attiré dès que j’ai vu son titre et sa couverture ». D’expérience de lectrice, cette catégorie m’a paru très juste. Mais attirée par le titre OU la couverture, ou bien par le titre ET la couverture ?

L’image dans un récit, ce sera le sujet d’un prochain Carnet d’écriture ( après encore de l'artistique, sûrement ).

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Commentaires

  • nathalie

    1 nathalie Le 10/01/2023

    Histoire de complexifier encore ta réflexion, les titres universitaires ne sont pas uniquement factuels. Ou alors ils le deviennent au moment de la publication, encore que, les bons titres disent souvent plus que cela. Il y a souvent un titre et un sous-titre et dans le sous-titre il y a des mots clés qui permettent de savoir le domaine de recherche et d'accrocher le lecteur.
    Par exemple, sur mon blog, il y a : "L’Enfer de la flibuste. Pirates français dans la mer du Sud" ou "Rire enchaîné. Petite anthologie de l’humour des esclaves noirs américains".
    Et puis il y a les titres des thèses, les titres d'origine, ceux qui sont transformés au moment de la publication. Il y a cette petite musique "un titre de thèse est une thèse". Ce n'est pas exactement vrai bien sûr, mais le choix des mots constitue une prise de position.
    Bref, ils se posent les mêmes questions passionnantes que toi.
    Hâte de lire la suite de ton cheminement !
  • Nathalie

    2 Nathalie Le 10/01/2023

    Et pardon si je défends systématiquement les universitaires, c’est plus fort que moi. Mais je m’intéresse à tout le reste aussi !
    marilire

    marilire Le 12/01/2023

    Je te remercie pour ton intérêt et toutes ces réflexions-précisions. Tes exemples sont significatifs, je te rejoins sur les mots clés et le choix des mots qui constituent une prise de position, une orientation du propos. Pour mon récit, finalement, j'ai opté pour un sous-titre explicite quant au domaine et à l'époque. ( aucun souci avec les universitaires :)).
  • niki

    3 niki Le 11/01/2023

    Le livre de David McNeil est un pur moment de bonheur
    marilire

    marilire Le 12/01/2023

    J'avais beaucoup aimé cette lecture aussi.
  • Kathel

    4 Kathel Le 11/01/2023

    Ah, le titre, ça semble un casse-tête, plus encore dans ton cas que si tu écrivais un roman, car il doit donner une idée du sujet, tout en précisant qu'il s'agit d'un récit et pas d'une fiction, qu'il s'agit d'art et d'histoire... heureusement, l'illustration peut remplir une bonne partie du boulot.
    Étant peu lectrice d'essais, je suis un peu réfractaire aux titres trop universitaires, ou trop obscurs. Pour l'art spirite, toutefois, ça ne m'aurait pas arrêtée... ;-)
    Et pour répondre à ta question sur la première catégorie de mon bilan, c'est l'illustration ET le titre, ET aussi le nom de l'auteur, parfois. C'est un ensemble qui éveille la curiosité, fait élaborer des hypothèses mentales sur le contenu, et donne envie d'aller y voir de plus près.
    marilire

    marilire Le 12/01/2023

    Voilà, bien préciser qu'il ne s'agit pas de fiction. Et pourtant, je l'aime bien mon titre. Donc sous-titre ( et franchement, même si ce n'est pas moi qui décide, je me demande vraiment ce qu'il pourrait y avoir comme illustration de couverture. Trop de choix, et toujours réducteur en fait ). Merci de répondre à ma question. Je n'ai pas parlé du nom de l'auteur ( qui a un effet sur moi également ) parce que dans le cas de mon récit, cet aspect n'existe pas.
  • Autist Reading

    5 Autist Reading Le 11/01/2023

    Ce que je vais te dire ne va probablement pas t'aider mais en ce qui concerne les romans, je suis assez peu sensible aux titres. J'aime les titres poétiques, énigmatiques mais ils ne m'aident pas à choisir un livre. La couverture oui, la 4e de couv, aussi. Pas le titre. Mais une fois le roman lu, j'aime que ce titre a priori énigmatique prenne son sens à la lumière de l'histoire que je viens de lire...
    En ce qui concerne les titres d' essais, je remarque que ceux que je préfère sont souvent en deux parties, une première "imagée" et une deuxième plus "explicative", du type : "L'odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux : Conversations avec Francis Bacon".
    Mais je comprends que cette question, cruciale pour le devenir de l'ouvrage, te taraude déjà. En journalisme, la pratique veut que le titre de l'article soit la dernière chose à laquelle penser, une fois le texte et les hors-textes rédigés puisqu’il doit en refléter le contenu. Or, souvent, chez moi, c'est l'inverse : le titre me vient en premier et décide de l'angle et du ton de l'article. Comme quoi...
    marilire

    marilire Le 12/01/2023

    Ah, comme toi j'aime qu'un titre prenne pleinement son sens à la lecture mais je reste sensible aux mots du titre. Un mot peut m'interpeller, me rendre curieuse, parce qu'il évoque plusieurs images, alors laquelle ? J'aime bien que le titre prête à interprétation, même après lecture. Ton exemple de titre/sous-titre est parfait. Il m'a inspiré mon sous-titre :). Et, comme toi, dans ma pratique de rédaction d'articles, j'avais toujours le titre pour commencer, pour l'angle et le ton, contrairement à la logique ! Tu vois, je fais de même pour le récit...
  • A_girl_from_earth

    6 A_girl_from_earth Le 11/01/2023

    Des réflexions très intéressantes autour du titre. Je suppose qu'il n'y a pas qu'une réponse, les perceptions, recherches, attentes et sensibilités n'étant pas les mêmes pour tous. Il faut aussi penser qu'on ne voit pas forcément la couverture (le trio titre/auteur/illustration) en premier ou tout de suite, à moins de se trouver dans un point de vente, une bibliothèque, ou un site qui met en avant les visuels de couverture. Le titre peut-être communiqué en en-tête d'un article ou début d'article, d'une newsletter, donc il faut déjà avoir envie de cliquer sur le titre pour accéder au reste, en savoir plus. Ah, et cette notion du "négatif" à bannir dans les titres jeunesse (pour très jeunes enfants souvent), ça me fait toujours lever les yeux au ciel... J'ai vu récemment l'exemple d'un titre qui avait évolué de "Ne t'inquiète pas" à "Tout va bien". J'en rigole !
    marilire

    marilire Le 12/01/2023

    Excellent ton exemple de " Tout va bien ". Nous rigolons ensemble ! Et nous n'avons pas fini de rigoler, je n'ai pas abordé la question de l'éditeur ^^. Il est vrai que les réponses sont subjectives et personnelles, c'est en cela aussi que ces questions sont intéressantes. Pour le titre seul, j'ai peu d'exemples. Je vois souvent la couverture en même temps ( même hors librairie/bibliothèque ) via la presse et les newsletters. C'est vrai que ce visuel me manque s'il est absent.
  • Passage à l'Est!

    7 Passage à l'Est! Le 12/01/2023

    Le sujet doit te trotter dans la tête depuis quelques temps - en relisant mon billet sur L'Horizon (27 novembre), je me suis aperçue hier que le commentaire que tu lui a laissé portait justement sur le titre et son lien avec l'atmosphère du roman.
    Tu poses de bonnes questions, en tout cas, et je me rends compte que moi - en tant que lectrice - je n'ai jamais vraiment réfléchi à ce sujet. Ca m'arrive assez rarement de sortir un livre d'un rayon de bibliothèque/librairie dont je ne connais absolument rien au préalable. En général, j'aurai entendu parler de l'auteur.e quelque part. Ensuite je regarderai le résumé, une page ou deux, le livre en tant qu'objet... je crois bien que le titre est en fait l'élément qui m'interpelle le moins. Ce qui fait qu'en fait je ne suis pas bon public pour toute la réflexion que tu mènes autour de ton titre! Même si j'en comprends les enjeux pour ta propre pensée et pour la visibilité du livre ensuite.
    marilire

    marilire Le 12/01/2023

    Le sujet ne m'a pas vraiment trotté dans la tête puisque le titre s'est imposé ( en mode boutade au départ : " si j'écrivais un livre sur ce sujet, je l'intitulerais ... " ). Je crois que j'ai réagi ainsi sur ton billet parce que je suis sensible aux mots, au titre. Et celui-ci, si évocateur mais si généraliste. Comme toi, me tenant informée des parutions ou effectuant des recherches pour un livre autour d'une thématique précise, la majorité des livres que j'approche me sont connus. Alors je constate justement que lorsque je baguenaude en librairie, si je prends par curiosité un ouvrage ( pour le retourner et lire la quatrième ), c'est à cause du titre. Je veux savoir pourquoi ce titre, de quoi parle ce livre. ( Je viens de récupérer la monographie que j'espérais pour présenter un artiste pendant le rendez-vous de fin janvier ).
  • Alys

    8 Alys Le 21/01/2023

    C'est tout un programme, littéralement! :)

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